Natalie McGuire-Batson

Collaborations caribéennes pour une multivocalité curatoriale : Une conversation avec Holly Bynoe, Annalee Davis et Katherine Kennedy

Les approches curatoriales dans la région caribéenne ont souvent offert l’opportunité de remettre en question et déconstruire les schémas d’exclusion dans les approches de l’art visuel. La preuve en est des plateformes dirigées par des artistes dans la Caraïbe anglophone, telles que Fresh Milk, ARC Magazine et Sour Grass ainsi que les projets collaboratifs qui en ont découlé. Ces initiatives ont œuvré pour engager des connexions archipéliques diverses et étendre l’autodétermination des langages visuels de la Caraïbe, tout en explorant de nouvelles approches curatoriales.

ARC Magazine a été créé en 2010 par Holly Bynoe et Nadia Huggins, qui ont décrit la ligne éditoriale du journal comme un ensemble d’œuvres d’artistes visuels et littéraires contemporains travaillant dans la Caraïbe et sa diaspora. Avec huit numéros imprimés et près de 4 500 articles en ligne écrits par différents penseurs et créateurs de la région, ARC est devenu un instrument clef pour connecter la grande diversité de voix dans les Caraïbes et leurs paysages culturels diasporiques. Le lancement de ce projet coïncidait alors avec le développement récent d’initiatives menées par des artistes de la Caraïbe anglophone, telles que Fresh Milk à la Barbade, qui se trouve dans le contexte quelque peu fragmenté au sein des arts visuels de cette île. Sa création naît de l’ impression de sa fondatrice Annalee Davis quant à l’inexistence d’espaces tangibles pour les artistes contemporains locaux, et plus particulièrement pour les nouveaux diplômés du programme de licence en arts plastiques du Barbados Community College, espaces qui leur permettraient de développer leur pratique et d’être soutenus dans leur création. Davis disposait alors d’un espace, un studio dans une annexe de sa maison au cœur d’une ancienne plantation devenue ferme laitière depuis, et qui a, par la suite, abrité la plateforme Fresh Milk depuis sa fondation. Analyser les vestiges de l’empire dans les espaces culturels anglophones de la Caraïbe est une condition vitale pour poser les bases d’un échange ouvert et d’un regard critique sur les pratiques décoloniales. La vision de Davis, laquelle se poursuit encore aujourd’hui, est de démanteler la barrière traditionnellement associée aux plantations et d’ouvrir le paysage lui-même à des recherches critiques par le biais de l’art visuel, de l’archéologie et de la botanique. Cependant, l’emplacement de Fresh Milk sur une ancienne plantation se trouvait encore, malgré cette vocation, empêtré d’une charge traumatique pour quelques membres de la communauté artistique locale. Tout en naviguant au sein de ces tension, les équipes de ARC Magazine et de Fresh Milk — Holly Bynoe, Annalee Davis et Katherine Kennedy– ont commencé alors à concevoir des programmes intégrés et collaboratifs qui cherchaient à établir de meilleurs liens entre les arts visuels contemporains dans la Caraïbe à tous les niveaux de médiation et d’échange.

Caribbean Linked est un des projets issu de ces collaborations. Créée en 2012, C’est une résidence d’artistes s’étendant à toute la Caraïbe, rassemblant des créateurs pour travailler dans les studios et sur le domaine des Ateliers ’89 à Aruba (la plus ancienne organisation d’éducation artistique dans les Caraïbes néerlandophones) dirigés par le directeur et fondateur, Elvis Lopez. Tilting Axis s’est constitué comme un second programme continu, alimenté par le désir d’utiliser « le pouvoir collectif pour rendre les arts plus visibles et durables par des moyens conçus à l’image des réalités vécues dans la Caraïbe ».[1]

Dans la décennie qui a suivi la création d’ ARC et de Fresh Milk, Annalee et Holly, ainsi que Katherine Kennedy, ont développé une sorte de multivocalité curatoriale dans les projets collaboratifs transnationaux qu’elles portent. La multivocalité curatoriale peut se comprendre comme une décentralisation de l’autorité dans le développement des cadres curatoriaux, en faveur d’approches qui cherchent à inclure des perspectives multiples sur le même plan. En muséologie, cette pratique s’articule par des modèles curatoriaux participatoires de curateurs tels que la muséologie post-critique de Dewdney et. al (2013). La muséologie post-critique s’ancre dans la collaboration avec les communautés, l’application transdisciplinaire du travail et un processus de nature réflexive, repensant constamment la responsabilité de la pratique tout comme celle des idées dont elle est issue.

En 2020, cet ethos de la multivocalité a abouti à la fondation d’un autre projet artistique, Sour Grass, une agence curatoriale ayant pour but de représenter des artistes caribéens à travers des partenariats transnationaux.

Cependant, au même moment, ARC Magazine fermait complètement ses portes en 2018, n’existant plus que sous la forme d’une archive virtuelle de ses numéros et des fragments d’articles publiés par des tiers sur internet. Et Fresh Milk a réduit son activité, ralentissant la programmation interne et visible uniquement par des projets et partenariats discrets. Impliquée moi-même dans le développement de la programmation de Fresh Milk depuis 2011, j’ai fait l’expérience en première ligne de l’impact énorme que ces espaces ont dans les communautés artistiques, ainsi que le défi que constitue leur durabilité. Dans ce contexte, débordant de révérencieux souvenirs à l’égard des organisations mettant la clé sous la porte ou limitant leur action, mélangé à l’optimisme de celles ayant vu le jour récemment, je me suis entretenue avec Holly, Annalee et Katherine, pour revenir sur leurs dix dernières années de travail et discuter des possibilités que renferme l’avenir en accord avec les principes curatoriaux de multivocalité qu’elles ont développé au cours de cette période.[2]

Natalie McGuire Batson (NMB) : Fresh Milk a eu 10 ans cette année, et 11 ans sont passés depuis la fondation d’ARC, ce qui semble vraiment incroyable. Pouvez-vous partager vos réflexions sur la manière dont ces plateformes ont grandi et évolué depuis leur création jusqu’à aujourd’hui, et si c’est bien dans cette direction-là que vous avez envisagé leur développement ?

Holly Bynoe (HB) : Quand nous étions en train de conceptualiser le magazine ARC, un de nos premiers échanges a conclu que rien n’est éternel. Et que parce que les

Caraïbes constituent un lieu si difficile et parfois même impossible pour la créativité et la joie, qu’ARC prendrait cette forme de magazine , et qu’à l’usure, il se transformerait peut-être en quelque chose d’autre, mais sans disparaître nécessairement. Donc j’ai été un peu surprise quant à la manière dont les choses se sont faites, en s’enflammant puis en s’évanouissant. Une des façons par laquelle j’ai tenté d’assimiler sa vocation, sa mission et ce qu’il a vraiment accompli en termes de consolidation d’un réseau des créateurs caribéens, s’est fait par le biais d’une œuvre, After Life, que j’ai écrite comme une performance. Je pense que l’arrêt ou bien la fermeture d’ARC a mené vers toutes ces autres opportunités, ces possibilités, et m’a également appris que la naïveté est un bel attrait à avoir. D’autre part, je souhaite que la plus grande leçon à tirer de ce projet, soit que la valeur de la communauté puisse être vue comme essentielle pour créer des espaces sûrs, à l’image d’un espace communicatif et somatique pour que les gens puissent se rencontrer et faire connaissance les uns avec les autres.

Annalee Davis (AD) : Fresh Milk est devenu tellement plus que ce que j’avais prévu. Je pensais que s’il y avait un endroit chaleureux pour permettre aux gens de se réunir, cela apporterait de la valeur. Je n’avais jamais anticipé que le projet aurait cette sorte de retentissement régional et international comme ce fut le cas. Et j’avais aussi imaginé, naïvement sans doute, qu’à un moment donné, nous pourrions obtenir une subvention de l’État pour le perpétuer dans le temps. Bien qu’il y ait eu quelques collaborations et des bourses publiques, c’est l’incapacité des mécanismes gouvernementaux dans cet environnement fiscal de pouvoir mieux soutenir des entités comme Fresh Milk qui m’a déçu davantage. Des discussions difficiles autour du resserrement de nos activités, que nous avons eues il y a deux ans, ont débouché sur la réalisation que peut-être ces choses ont une vie courte, et qu’elles engendrent d’autres choses même si la vision originale a été un chantier inabouti. Il y a aussi une sorte de constat réaliste par rapport à ce qu’un petit pays comme la Barbade peut véritablement faire pour l’art contemporain.

Figure 1 Holly Bynoe, Nadia Huggins and Annalee Davis speaking at the launch of Fresh Milk, August 2011. Photographer: Dondre Trotman. Image Courtesy Fresh Milk

HB : Juste pour rebondir là-dessus, n’oublions pas l’immense quantité d’heures de travail non rémunérées auxquelles nous nous sommes engagées. Quand on décide d’y aller, on le fait parce qu’il y a  le désir, un désir profond. Et parce que vous voulez voir des transformations dans cet espace. C’est intuitif, et en tant que femme, on a l’aptitude de faire naître des projets créatifs et de faire autant que possible pour saisir tout ce qui se présente comme une opportunité. Au demeurant, le travail est parfois peu satisfaisant, on finit par s’abîmer et on accumule tellement de traumas autour du travail, des astuces financières pouvant générer des revenus, des inégales richesses générationnelles et des responsabilités financières de la vie. Après réflexion, cette relation permet de s’assainir et d’aller mieux, et je sens que l’on peut apporter ce savoir aux nouveaux projets, pour ne pas commettre les mêmes atrocités envers nous-mêmes et envers les autres. Cela est vraiment important, car il y a beaucoup de torts commis dans les écologies créatives du fait du capitalisme tardif, puisque les artistes sont encore terriblement dévalorisés et considérés seulement comme des éléments de décoration, en particulier par l’État.

 

Katherine Kennedy (KK) : Il y a 10 ans j’avais 21 ans quand je suis rentrée après mes études, donc il y a toujours le point de vue de trois générations différentes, au fil des expériences de travail que nous avons partagées toutes les trois. À plus d’un égard, nous avons toujours été des sortes d’activistes sociales, mais nous sommes toutes entrées dans cet espace de l’activisme et du militantisme de manières différentes d’ autrefois. J’étais sans doute la plus naïve et j’étais juste ravie de revenir  à la Barbade et de voir qu’il se passait quelque chose, parce que vraiment —  et cela a été exprimé par de nombreuses personnes — c’était une source d’espoir et ça a eu un impact. Mais ça a été une aventure difficile. Même si, en réfléchissant sur cet impact, les choses que les gens sont en train de construire et de faire maintenant n’auraient pas été possibles sans cette aventure. C’est émouvant d’avoir contribué ne serait-ce qu’en partie à cet héritage, avec tout ce qui se passe dans la région en ce moment, de savoir que nous avons toutes travaillé pour atteindre quelque chose qui aurait le pouvoir de faire la différence.

 

AD : Tout à fait, c’est encourageant de penser aux relations qui se sont formées personnellement et professionnellement à travers ces différentes plateformes qui nous ont menées vers d’autres projets indépendants développés organiquement par des artistes. Fresh Milk et ARC ont tous deux développé un intérêt régional et international alors qu’il était bien plus difficile de faire ainsi sur le plan local, une problématique que nous avons abordé dans la mesure de notre compétence.

 

HB : Quand je ferme les yeux, et que je pense à tout ce monde réparti dans cet extraordinaire réseau de relations, c’est quelque chose que je ne peux pas quantifier ni à quoi je peux attribuer une valeur. Ni au temps, ni aux souvenirs, ni à l’amitié ou à la connaissance. Donc, pour en revenir à ce que Katherine disait, concernant l’héritage, faisons en sorte de rendre hommage à tout ce qui a contribué à faire que cet espace créatif soit possible. Et même si j’en suis toujours aussi émerveillée, je sais aussi qu’il s’agissait d’une opportunité exceptionnelle, du genre qui ne se présente qu’une fois dans une vie et qu’il serait difficile de penser que cette sorte d’occasion puisse se reproduire. En même temps, c’était le moment.

Cela a été et continue d’être une collaboration organique et facile dans l’ensemble, empreinte d’un respect et d’une sagesse partagée et de réciprocité profonde. Je respecte et j’aime beaucoup Katherine et Annalee. J’ai le sentiment d’avoir grandi, de m’être dépassée, puis d’avoir grandi à nouveau de l’intérieur, et cela s’assimile à une dynamique naturelle de flux et de reflux.

Figure 2 Holly Bynoe, Annalee Davis and Katherine Kennedy, 2021. Image Courtesy Katherine Kennedy

NMB : En réfléchissant, une des choses qui semble se démarquer, c’est cette écologie  culturelle multivocale qui s’est dégagée du travail effectué par Fresh Milk et ARC. ARC a incorporé de nombreuses voix pour contribuer aux articles, en particulier sur la plateforme en ligne, mais aussi par les magazines. Et Fresh Milk a plusieurs projets —Transoceanic Visual Exchange, Fresh Milk Books, les résidences d’artiste, et surtout les résidences My Time. Je voudrais donc en savoir plus sur les processus permettant de créer cette multivocalité ? Était-ce un élément qui s’alignait sur votre propre philosophie artistique ? Ou bien quelque chose qui a été cultivé consciemment comme un cadre curatorial ou basé sur un projet ?

HB : J’ai toujours été très modeste par rapport à notre anglophonie, nous occupons de si petits espaces ! Donc, quand nous avons commencé à créer ARC il était implicitement entendu que nous essaierions de rendre le projet aussi dynamique, large, attirant et inclusif que possible. Une des choses dont nous voulions prendre soin et entretenir était nous-mêmes et les communautés d’artistes. Les réseaux sociaux et en particulier Facebook émergeaient (et je me demande, quand on commencé à poser des questions en 2010, pour essayer de comprendre ce qu’il y avait, dans le monde ? Qui se sentait vu ? Qui n’était  pas vu ? Pourquoi ? Qui se sentait observé ? Qui n’était  pas pris en compte ? Pourquoi n’étiez-vous pas remarqué ?) Nadia et moi voulions créer quelque chose de large, d’énergétique et de polymorphe. Je me suis dit qu’il était vraiment important d’y introduire ce regard compréhensif afin de découvrir quelles nouvelles conceptions, quelles réalités visuelles commençaient à voir le jour.

AD : J’ai toujours eu le sentiment que Fresh Milk était quelque chose qui aurait dû être dirigé par plusieurs personnes. Par exemple, Transoceanic Visual Exchange et Fresh Milk Books. Je pensais qu’il était important pour les gens de sentir que Fresh Milk était

une plateforme où ils pouvaient s’exprimer et développer les projets qu’ils souhaitaient voir se matérialiser. J’ai aussi le sentiment que la composition sur plusieurs générations est vraiment fondamentale. J’ai eu comme mentors des personnes plus jeunes parce qu’il était important pour moi de me sentir liée à des voix issues de générations différentes. Il a également été important pour Fresh Milk de travailler au-delà de son emplacement. Cela s’inspire de l’idée de phytoremédiation, du fait d’être sur une plantation et de croire que les espaces peuvent changer par le travail qui s’y réalise.

Figure 3 The Fresh Milk Books team in 2014: Kwame Slusher, Amanda Haynes, Christian Campbell, Versia Harris, and Tristan Alleyne. Image Courtesy Fresh Milk

 HB : La collaboration est primordiale. Je viens d’un petit espace, j’ai dû quitter cet endroit, j’ai dû m’apprendre  moi-même, en apprendre davantage sur moi-même pour communiquer depuis un petit espace vers un plus grand espace. Et c’est là que la collaboration naturelle a commencé, que ce soit avec une personne, un objet ou la nature, j’ai toujours eu le sentiment de participer à un dialogue intérieur avec ce que j’avais en face de moi. Je pense que la transition s’est faite quand je me suis sentie plus assurée dans mon travail photographique et que je me suis sentie  une affinité  avec les pratiques collaboratives, ce qui est aussi profondément ancré dans ma pratique curatoriale. C’est comme ça que je travaille avec des artistes, c’est très intime, et ça commence en partageant, en réagissant puis ça se poursuit en une sorte de mouvement spontané où j’assimile ce qu’ils disent, manifestent ou comprennent, quelque chose change en eux et en moi-même et il y a toute cette commotion cyclique, avec le mouvement et l’élévation des idées.

Figure 4 ARC and NLS partnered to stage a group exhibition at (e)merge art fair in Washington. DC, 2014. Image courtesy ARC Magazine

AD : Je pense qu’il est primordial pour les êtres humains d’avoir un sentiment d’appartenance. Beaucoup d’entre nous peuvent éprouver un sentiment d’isolation pour différentes raisons, que ce soit parce que vous êtes queer, ou ayez l’impression d’être en dehors pour des raisons de race ou de classe, ou parce que vous travaillez dans les arts. Beaucoup de ces plateformes à travers la Caraïbe sont devenues des refuges pour les artistes visuels contemporains. Quelqu’un visitait récemment Fresh Milk et disait qu’il était heureux d’être dans ce qu’il percevait comme un environnement sûr pour lui . C’est important de créer des espaces qui permettent aux gens d’être eux-mêmes.

KK : Une autre chose de multivocalité, c’ est le blog que nous avons demandé aux artistes en résidence d’écrire ; il s’agit d’une chose très simple et très tangible, mais je pense que la discussion en vient toujours à aborder le sujet des archives et de qui raconte nos propres histoires. Je pense que les gens ont abordé le blog de différentes manières, mais on essaie toujours d’insister sur le fait que nous voulons juste que ce soit un espace où quelqu’un peut partager ses expériences, ses pratiques et son parcours. Je pense que ça a été  vraiment un bon point de départ pour construire une sorte d’archive autour des artistes de la Barbade, des artistes Caribéens  ou intéressés à travailler dans la Caraïbe.

Figure 5 Image from the blog entry of local artist in residence Kia Redman, 2019. Image courtesy Fresh Milk

Figure 6 2019 artist in residence Kia Redman during her community outreach activities at Workman’s Primary School, Barbados. Photographer: Ethan Knowles. Image Courtesy Fresh Milk

NMB : Il y a donc cette évidence écrasante de multiples projets autour de l’inclusion, et cependant il semble encore y avoir une critique latente de Fresh Milk en particulier comme un espace d’exclusion. Comment avez-vous vécu cela dans le passé en rapport avec le travail que vous faites ?

KK : Je pense qu’une perception externe, mais qui est aussi le sujet de certains conflits internes, c’est la séparation de soi d’avec l’organisation. Je sais que nous avons essayé de vivre cela d’une manière responsable et que nous y sommes encore. On ne peut pas changer chaque perception, mais on a besoin de regarder en nous-mêmes pour s’assurer que nous n’avons d’aucune façon participé à nourrir cette perception, et que nous essayons d’être aussi ouverts et inclusifs que possible.

NMB : Deux des principaux projets régionaux provenant de Fresh Milk ont été Caribbean Linked et Tilting Axis. Pouvez-vous commencer en racontant la manière dont Caribbean Linked fut  conceptualisé ?

AD : Je dirais qu’ Elvis[3] est un des collègues avec lequel j’ai travaillé le plus longtemps dans la Caraïbe. Elvis m’a invité à donner un cours de dessin en 1991 à Ateliers ’89 à Aruba. J’ai quitté mon travail d’enseignante à la St. Michael’s school à Barbade parce que je voulais passer une année à voyager à travers la Caraïbe et mieux comprendre ma communauté régionale. Elvis m’a invitée de nouveau en 2011. Et j’ai dit, bon, mais je ne veux pas venir seule. Je souhaite emmener quelques personnes avec moi.

À cette époque, je commençais à me rapprocher d’Holly, et je désirais rencontrer John Cox du Popostudio[4]. Elvis a invité Rocio Aranda Alvarez (USA) et Paco Barragan (Espagne). Et c’est à ce moment qu’on a pensé que ce dont nous avions vraiment besoin, c’était une résidence Caribéenne pour les artistes Caribéens.

Figure 7 Elvis Lopez and Annalee Davis at Ateliers ’89 Aruba in 2012. Photographer: John Cox. Image courtesy Annalee Davis

HB : Et il semblait que l’environnement de la Caraïbe danoise était tout simplement très différente. Ils ont des écoles d’art qui veulent faire des choses avec nous.

KK : À moins que vous ne soyez là en personne, je ne pense pas que vous puissiez comprendre ce que c’est que de vivre dans un espace avec d’autres personnes venant de 10 ou 12 îles caribéennes différentes, parlant des langues différentes, apprenant les uns des autres des choses différentes pour chacun. Tout ça nous a rapprochés, d’une manière très spéciale et qu’on ne pouvait pas prévoir.

Figure 8 Caribbean Linked IV participating artists with Holly Bynoe and Elvis Lopez at Ateliers ’89 Aruba, 2016. Image courtesy Caribbean Linked.

NMB : Il semble qu’il y ait définitivement une notion d’amitié émanant de ces réflexions. Dans les grandes institutions ou les musées il y a cette sorte d’aspect superficiel de coopération, c’est presque performatif. Et en fait, c’est plus une démarche liée aux publics, faire des gens se connaitre durant des moments très limités et puis n’avoir plus jamais de relation après, tandis que je trouve qu’avec Caribbean Linked et Tilting Axis, les contacts s’établissent de façon durable, encouragés par l’intérêt réel porté aux artistes de cet espace. Ainsi, je voulais demander à chacune d’entre vous, quelles instances se dégagent pour vous en particulier, qui confirment cet engagement réel auprès de la communauté ?

HB : Je pense que, depuis le début, nos conversations tournaient autour de ces idées de générosité et de coopération, créant quelque chose de productif, qui permettrait des connexions et qui ne répondrait pas seulement aux limitations, mais à l’écoute des constellations et des configurations générées par nos collaborateurs eux-mêmes.

KK : Il y a aussi cette dynamique où il n’y a pas de hiérarchie, même si les artistes et les administrateurs sont à des niveaux différents de leur carrière. Il y a quelque chose qui semble très latéral et tout le monde arrive avec le même degré de curiosité et avec l’espoir de profiter de cette expérience. En seulement trois semaines, vous assistez à une quantité ridicule d’activités, vous essayez d’absorber ce tout nouvel environnement d’Aruba, et à la fin, il y a cette exposition tangible qu’on doit produire. Chaque fois, tout le monde se serre les coudes, même si on pense toujours qu’on ne va pas y arriver. Mais on y arrive, parce que tout le monde s’entraide. Je pense que c’est l’explication principale de notre succès et la raison pour laquelle les gens veulent continuer les relations établies ensuite.

Figure 9 Jodi Minnis, Ronald Cyrille, Simone Asia and Alex Kelly working in the studios in Ateliers 89 for Caribbean Linked III, 2015. Image courtesy Caribbean Linked

AD : En ce qui me concerne, avec Fresh Milk, Caribbean Linked et Tilting Axis, il est important que nous prenions des décisions sur le sol caribéen, exprimant la nature de nos besoins, construisant notre propre programme, et non pas le voir prescrit de l’extérieur. Ces plateformes sont devenues des aimants pour les gens à travers la région et la diaspora, pour se reconnecter et faire grandir leur réseau.

HB : Je veux vous rappeler l’effondrement du sol chez Fresh Milk.

AD : Oh mon Dieu, oui, la poutre porteuse s’est effondrée sous le poids de l’assistance au cours de la première réunion et durant la première heure de la réunion de Tilting Axis!

Figure 10 Participants in the first Tilting Axis meeting at Fresh Milk, 2015. Photographer: Sammy Davis. Image courtesy Fresh Milk

HB : Et avec ça,  je veux juste parler de l’intimité de projets comme Tilting Axis et Caribbean Linked. Nous sommes en train de passer d’intentions générales à des efforts concertés plus profonds pour construire un espace sûr où interagir, un endroit sûr où des conversations complexes pourront exister. Cela nous fait réaliser de ce qui est rendu possible par ces rencontres, ces réunions et cette méthode conviviale, où vous vous installez avec quelqu’un, vous le regardez dans les yeux, vous formez un cercle, allez déjeuner, prenez le thé, riez, plaisantez, surmontez votre embarras et vous mettez au travail pour apprendre à vous connaitre. Et nous voici au milieu d’une ferme laitière au milieu de la Barbade avec les fondations s’effondrant sous notre poids à tous…

AD : On voulait que ce rassemblement initial débouche sur quelque chose de positif, et nous voulions obtenir quelque chose de cette réunion. Et c’est ce qui c’est passé . Il y eut quatre autres rassemblements annuels et un partenariat a pris  forme. Comme vous savez, Caribbean Linked a été  virtuel cette année. Et bien que ce soit malheureux de ne pas être à Aruba en personne, le groupe était déjà tout à fait solide, ainsi quand ils se rassembleront en personne l’année prochaine, ils auront déjà appris à se connaitre. Caribbean Linked VI devrait aller très bien. Le Fellowship Tilting Axis continue. Nous venons d’annoncer nos nouveaux partenaires pour cette année, et nous pouvons potentiellement avoir plus de partenariat avec différentes institutions. Et je pense que ces partenariats sont vraiment importants.

HB : Nous devons retourner sur le métier et voir quels sont nos nouveaux besoins, maintenant que nous faisons face à la crise du climat… Comment devenir plus responsables de nos actions, nos inactions dans le monde ? Bien que les cinq itérations aient été difficiles et dures à produire, la programmation s’agrandit avec toujours plus de force. Je pense qu’il est vraiment dur de penser à des partenariats institutionnels dans une région où  les institutions sont en train de s’effondrer. C’est très bien d’avoir ce moment d’arrêt et de décroissance pour se poser des questions et clarifier nos intentions, y compris  à propos du Fellowship, parce qu’il semble que ce soit un projet aux possibilités de développement tangible alors que nous construisons une direction pour nos vies et bien sûr, il faut consolider nos archives.

Figure 11 Tilting Axis 2017 Fellow Nicole Smyth-Johnson in conversation with Tiffany Boyle at Tilting Axis 3 in The Cayman Islands, 2017. Photographer: Roy Wallace. Image courtesy Tilting Axis

NMB : Je voulais justement parler de la notion d’archive, qui constitue une autre forme d’héritage né des projets professionnels émanant de ces espaces. Il n’y a jamais eu d’archive centralisée de cette manière  ou en tout cas pas aussi accessible. Lorsqu’on recherche des informations sur ce qui est arrivé, historiquement, sur les scènes des arts visuels de la Caraïbe, particulièrement de la Caraïbe anglophone, on se heurte à des difficultés pour l’accès à ces archives, enfin à ce qui existe encore car beaucoup de matériel a été  détruit. Et je pense donc qu’une des manières de faire que ces idées de “multivocalité” et de soin tiennent dans la durée, c’est justement par le biais d’archives que les gens puissent consulter encore et encore et commencer à interroger de façon innovante.

AD : Ce travail collectif démontre que la Caraïbe n’est pas un tableau vide. Au travers de ces archives que nous construisons continuellement, on démontre que les gens pensent de façon critique, que beaucoup de choses se passent et se développent dans la région. Ceci ne peut pas être contesté et nos nombreuses archives le prouvent.

HB : Oui, c’est très délibéré. C’est une action délibérée de faire cet enregistrement  et de le faire de ce moment, de ce temps. Et parce que l’archive est là, nous sommes aussi capables de réfléchir autrement sur le travail puisque bien souvent, une fois que vous vous finissez des projets,  il y a cette phase d’apprentissage, mais aussi de deuil. La constitution d’une archive nous apprend à ne pas pleurer cette perte, car d’une certaine manière l’archive à travers un son, un sentiment, rappelle le mouvement et le silence qui la constituent.

NMB : Le cas de Sour Grass est une approche tout à fait différente des précédentes collaborations et projets que nous avons discutés, car il s’agit d’un projet qui concrne le marché global de l’art . Comment avez vous procédé par rapport à toutes ces valeurs dont nous avons parlé au sujet de vos deux pratiques —l’éthique curatoriale et la “multivocalité” — comment ces valeurs ont elles infusé Sour Grass comme entité existant dans le monde commercial de l’art?

AD : Avec Sour Grass nous pensons à la façon dont nous pouvons générer des revenus durables pour nous-mêmes et pour les artistes avec lesquels nous travaillons. Nous voyons cela comme une opportunité pour nos réseaux d’investir dans les artistes caribéens, de valoriser le travail de gestion et d’amener la notion d’excellence dans la conversation. Sour Grass reconnait qu’il y a un intérêt croissant pour ce l’art qui vient de la Caraïbe, et en intégrant ces plateformes internationales, l’organisation affirme que cet intérêt n’est pas seulement nourri par des forces extérieures mais aussi par des forces venant de l’intérieur de la région.

HB : Sour Grass vient à un moment intéressant dans ma vie alors que je fais une tentative plus délibérée de penser à l’équité, à m’occuper de moi, à ma responsabilité envers ma famille et ceux que j’aime et aussi envers la communauté artistique qui est aussi devenue notre famille ; quelle est notre obligation et notre responsabilité envers elle ? Pour notre collaboration avec la Atlantic World Art Fair, nous avons créé un espace de galerie virtuelle avec l’œuvre d’artistes que nous respectons et admirons, en collaboration avec d’autres femmes caribéennes, directrices de galeries et entrepreneuses, certaines d’entre elles travaillant dans ce milieu depuis trois générations : cette collaboration fut vraiment importante et très gratifiante.

Figure 12 Holly Bynoe, Annalee Davis and Jasmine Thomas-Girvan at the Kunstinstituut Melly, 2021. Image courtesy Jeroen Lavèn.

AD : Je tiens à insister sur le sens de deux mots qui tournent en boucle dans ma tête, décroissance et travail culturel lent. Décroissance défie le désir constant de vouloir toujours plus, plus gros, mieux, plus long, ce désir qui détruit la terre. Le concept de travail culturel lent, renforcé par la Covid, m’encourage à adopter une attitude réflexive plus profonde, sur la création, le travail et la nécessité de ralentir le pas. Je pense aussi que la Caraïbe est une région vraiment très difficile qui nous demande de former une carapace rigide quand on travaille dans l’art, parce que c’est un endroit qui peut aussi vous rendre fou. Ça peut être un milieu très difficile du fait de son système de valeurs, un système dont on ne peut pas dire qu’il vénère les artistes, ce qui en retour contribue à la tentation du retrait de leur part. Mais en fin de compte, c’est l’endroit auquel nous nous sommes tous engagés à prendre soin, et venus à aimer, grâce à notre travail de collaboration.

KK : En quelque sorte, cela n’aurait pas été possible dans n’importe quel autre espace. Nous n’aurions pas connu les œuvres des uns et des autres de la même manière ou fait les choses que nous avons faites, même si persistent de nombreux nouveaux défis qui ont encore besoin d’être traités. Mais nous aurions pu être englouties dans une scène d’art métropolitaine où nous ne nous serions jamais rencontrées, n’aurions jamais établi ces relations, et où nous n’aurions jamais eu l’occasion d’être aussi passionnées par la construction de quelque chose.

 

Tous nos remerciements à Holly Bynoe, Annalee Davis et Katherine Kennedy pour leur temps et leurs visions.

[1] Davis, Archipels Archipelagic Affinities in an Ocean of Shifting Tides, « Sea is history: Caribbean Experiences in Contemporary Art », 2016, p.15

[2]Les réponses ont été éditées pour clarifier le propos.

[3] Elvis Lopez, fondateur d’Ateliers ’89 à Aruba et partenaire fondateur de Caribbean Linked.

[4] Popostudios fut créé aux Bahamas.

References

Davis, Annalee. “Archipelagic Affinities in an Ocean of Shifting Tides” in Sea is history: Caribbean Experiences in Contemporary Art, Davidoff Art Initiative, 2016

Dewdney, A., Dibosa, D., Walsh, W. Post-Critical Museology: Theory and Practice in the Art Museum, Routledge, 2013

Hadchity, Therese. The Making of a Caribbean Avant-Garde: Postmodernism as Post-nationalism, Purdue University Press, 2020.

McGuire, Natalie. “Kiko Ta Kiko?”, Caribbean Linked, 2015, https://caribbeanlinked.com/editions/caribbean-linked-iii/critical-writing/natalie-mcguire/ last accessed 15/10/2021

 

La recherche curatoriale  de Natalie McGuire-Batson engage un discours communautaire sur la culture, à travers la recherche en muséologie caribéenne. Après avoir obtenu un BA en histoire de l’art à l’Université de Leicester et une maîtrise en Musées et Patrimoine Culturel à l’Université d’Auckland, elle est actuellement doctorante  à l’Université des West Indies Cave Hill avec comme thème sur les musées et l’agence communautaire des Caraïbes anglophones. Elle est conservateur  – Histoire sociale et engagement au Barbados Museum & Historical Society et siège à plusieurs comités, notamment en tant que responsable des relations publiques pour ICOM Barbade et membre du conseil d’administration de la Barbados National Art Gallery.

Natalie McGuire-Batson

Curatorial Multivocality through Caribbean Collaborations: A Conversation with Holly Bynoe, Annalee Davis and Katherine Kennedy

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Curatorial approaches across the Caribbean region have often been vehicles for challenging and dismantling exclusionary global frameworks in visual art engagement. Nestled within this, have been artist-led platforms in the Anglophone Caribbean, such as Fresh Milk, ARC Magazine and Sour Grass, and the collaborative projects that stem from them. Such initiatives have arguably endeavoured to engage diverse archipelagic connections and expand self-determination in Caribbean visual languages, exploring new approaches to curatorship.

ARC Magazine was established in 2010 by Holly Bynoe and Nadia Huggins, who described the publication as focusing on a collection of works by contemporary visual and literary artists practicing in the Caribbean and its Diaspora. Spanning eight print issues and approximately 4,500 online articles written by a variety of Caribbean creatives and thinkers, ARC became a key repository for connecting the vast variety of voices in Caribbean and diasporic cultural landscapes. The launch of such a nucleus coincided with the recent establishment of artist-led initiatives in the Anglophone Caribbean, such as Fresh Milk, which sits in the context of an already somewhat fragmented visual arts sector/milieu in Barbados. It was created out of the perception by founder Annalee Davis that there was no tangible space for local contemporary visual artists, particularly recent graduates of a BFA programme at the Barbados Community College, to expand their art practice and be supported to continue creating art. Davis had a space, a studio attached to her house on a former plantation that is now a dairy farm, which has housed the Fresh Milk platform since its inception. Negotiating imperial remnants in Anglophone Caribbean cultural spaces is a key consideration to foster open exchange and critical inquiry into decolonial practices. Davis’ ongoing vision is to dismantle the gatekeeping that is traditionally associated with plantation sites, and open up the landscape itself for critical inquires through visual arts, archaeology and botany. However, the site of Fresh Milk on a former plantation still held remnants of trauma for some of the local arts community. Despite navigating these sometimes contested terrains, the team behind ARC Magazine and Fresh Milk – Holly Bynoe, Annalee Davis and Katherine Kennedy, began to develop integrated, collaborative programming that sought to better connect contemporary visual arts in the Caribbean at all levels of engagement and discussion.

Caribbean Linked is one of the projects arising out of these collaborations. Established in 2012, it is a Caribbean wide artist residency, bringing together creatives to work in the studios and grounds of Ateliers ’89 in Aruba (the oldest art education organization in the Dutch Caribbean) run by founding director, Elvis Lopez. Tilting Axis has been a second ongoing programme, fuelled by the desire to harness “the collective power to make the arts more visible and sustainable in ways resonating with our lived realities in the Caribbean.”[1]

In the decade that has followed since ARC and Fresh Milk were established, Annalee and Holly, alongside Katherine Kennedy have developed a kind of curatorial multivocality in the transnational collaborative projects that they champion. Curatorial multivocality can be described as the decentralization of authority in developing curatorial frameworks, in favour of approaches that seek to include multiple perspectives on an equal plane. In museology, this practice is articulated through participatory models of curatorship such as Dewdney et. al’s (2013) post critical-museology. Post-critical museology functions on the basis of collaboration with communities, application of work in a transdisciplinary manner, and work that is reflexive, constantly revisiting the accountability of both the practice and the ideas that inform that practice.

In 2020, this ethos of multivocality evolved into the founding of another arts enterprise, Sour Grass, a curatorial agency aiming to provide representation for Caribbean artists through transnational partnerships.

However, at the same time, ARC Magazine shut down its door completely in 2018, existing now only as its publication archive and digital fragments on third party websites. And Fresh Milk has scaled back as an organization, slowing internal programming and visible mainly through discreet projects and partnerships. As someone involved in the development of Fresh Milk programming since 2011, I have experienced first-hand the enormous impact these spaces have on the arts community, as well as the challenges of sustainability. In this context, one filled with the reverent remembrance of organizations coming to a close or scaling back, combined with the optimism of those just beginning, I sat down to have a conversation with Holly, Annalee and Katherine, to reflect on the last decade of their work and discuss the possibilities of the future under their ethos of a multivocal curatorial framework of care.[2]

Natalie McGuire Batson (NMB): Fresh Milk turned 10 this year, and ARC was founded 11 years ago, which just seems incredible. Could you to share some reflections you have on how these platforms have grown and shifted from their inception to today, and if this is the direction you envisioned when you first started out?

Holly Bynoe (HB):

When we were conceptualizing ARC Magazine, one of the first conversations we had was that nothing lasts forever. And that because the Caribbean is such a hard and at times impossible space for creativity and joy, that ARC would be this thing, and when it gets tired, it might

transform into something else, but not necessarily extinguishing. So I was a little bit surprised by the way it played out, blazing in but then fading out. One of the ways in which I tried to process its intention, its mission and what it did accomplish in terms of making and fortifying the network of Caribbean creatives, was through a piece “After Life” that I wrote as a performance. I think that the sort of stopping and or the closing of ARC led to all of these other openings, other possibilities, and it taught me that naivety is a beautiful thing to have. Coming out on the other end, I want one of the biggest lessons learned from that project, to be that the value of community is so essential in creating safe space, like a communicative and somatic space for people to touch each other, to know each other.

Annalee Davis (AD): Fresh Milk became so much more than I ever anticipated it would. I thought that if there were a nurturing space that would allow people to gather, that would add value. I never anticipated that it would have the kind of regional and international reach that it has had. And I also imagined, maybe naively, that at some point, we would have been able to get state subvention to make it sustainable. While there have been some collaborations and state funded grants, what has been disappointing is the inability of state mechanisms in this fiscal environment to more adequately support entities like Fresh Milk. Difficult discussions about scaling back, which we had a couple of years ago were buttressed by the realisation that maybe these things have a short life, and they spawn other things even if the original vision isn’t fully realised. There’s also a kind of a realistic understanding about what a small place like Barbados can actually do for contemporary visual art.

Figure 1 Holly Bynoe, Nadia Huggins and Annalee Davis speaking at the launch of Fresh Milk, August 2011. Photographer: Dondre Trotman. Image Courtesy Fresh Milk

HB: Just responding to that as well, taking into consideration the sheer number of hours of unpaid labour that we have committed to. You just go because your will is so profound. And because you want to see transformation happen in this space. This is intuitive, and as a woman, I think we have the ability to birth creative projects and squeeze as much as we can from opportunities. In return, the labour is skewered, we end up damaging ourselves and having so much trauma around labour, income savviness, generational wealth and looking at the at the financial responsibilities of life. On reflection, that relationship is healing and getting better, and I feel that we can bring this knowledge to the new projects, so we don’t commit the same atrocities to self and others. It’s really important because there’s a lot of damage due to late stage capitalism that moved into the creative ecologies, as artists are still very undervalued and seen as decorative, especially by the state.

Katherine Kennedy (KK): 10 years ago I would have been 21 when I came back from university, so there’s always been input from three generations, with the three of us working together. We had always been social activists in a lot of senses, but we all entered into that space of activism and advocacy in different ways than we had before. I was probably the most naïve and I was just excited to come back to Barbados and see that there was something happening, because it really – and this has been expressed by a lot of people – has been a source of hope, and it has had an impact. But it’s been a difficult journey. Though reflecting on this impact, a lot of the things that people are building and doing now would not have been possible without this journey. So it’s humbling to even have been a part of that legacy, with everything else that’s going on in the region; to know that we have all been working towards something that has made a difference.

AD: I know, it’s encouraging to think about the relationships that have been formed personally and professionally through these various platforms that have led to other independent projects developed organically by artists. Both Fresh Milk and ARC have developed regional and international interest while it’s been more challenging to do so locally, something we have been addressing within our capacity.

HB: When I when I close my eyes, and I think about everybody mapped out in this extraordinary web of relations, it’s something that I can’t quantify nor put a value on. Not the time or the memories, friendships and the knowledge. So touching back on that word that Katherine said, the legacy, making sure that we honour the things that makes this creative space possible. And while I am in awe of it, I know that was a once in a lifetime opportunity and it would be hard to think that something like that could happen again. It was in time, of time.

It has been and continues to be an organic, easy collaboration all around, with respect and wisdom sharing and reciprocity at the core. I respect and love Katherine and Annalee very much. I feel as though I’ve grown, outgrown, then, grown back in and it feels like a natural ebb and flow dynamic.

Figure 2 Holly Bynoe, Annalee Davis and Katherine Kennedy, 2021. Image Courtesy Katherine Kennedy

NMB: One of the things that becomes apparent on reflection is the multivocal cultural ecology that has arisen from the work that Fresh Milk and ARC have done. ARC has included many different voices to contribute to articles, particularly on the online platform, but also through the magazines. And Fresh Milk has several projects – Transoceanic Visual Exchange, Fresh Milk Books, the artist residencies, the My Time residencies in particular. So I wanted to inquire about the processes of generating that multivocality? Was it something that just aligned with your own ethos as practitioners? Or was it something that was a kind of conscious cultivation as a curatorial framework or a project based framework?

HB: I’ve always been very humble about our Anglophileness, we occupy such small spaces. So when we sat down to create ARC it was just an implicit understanding that we would try to make this as dynamic, as broad, as inviting, as inclusive as possible. One of the things that we wanted to foster and care for was ourselves and the artists’ communities. Social media and in particular Facebook was emerging and curious in 2010 when we started to ask questions, we were just trying to figure out, what is out there? Who feels like they’re being seen? Who isn’t being seen? Why aren’t you being seen? Nadia and I wanted to create something that was broad, energetic and multifaceted. I thought it was really important to have this comprehensive look in to see what new understandings, new visual realities were arising.

AD: I always felt that Fresh Milk was something that should be driven by multiple people. For example, Transoceanic Visual Exchange and Fresh Milk Books. I thought it was important for people to feel that Fresh Milk was a platform where they could express themselves and develop projects that they wanted to see happen. I also feel that the multigenerational component is really critical. I’ve have been mentored by younger people which is so important for me to feel connected to different generations of voices. It also has been important that Fresh Milk operates out of the site where it’s located. Inspired by the idea of phytoremediation, being on a plantation, believing that spaces can change because of the work that is carried out on those spaces.

Figure 3 The Fresh Milk Books team in 2014: Kwame Slusher, Amanda Haynes, Christian Campbell, Versia Harris, and Tristan Alleyne. Image Courtesy Fresh Milk

HB: Collaboration is key. I come from a small space, I had to leave that space, I had to learn myself, learn about myself in a small space to communicate to a bigger space. And that’s when the natural collaboration started, whether it was a person and/or object, and/or nature, I always felt as though I had this internal dialogue with the thing in front of me. I think that transition happened when I started to become more grounded in my photography-making and felt kinship to collaborative practices, this is also deep within my curatorial praxis. It is how I work with artists, it is all very intimate, and its starts with sharing, reactions and then some kind of spontaneous movement where I’m taking in what they’re saying, manifesting or understanding, something changes in them and myself and there’s all this cyclic motion with the movement and elevation of ideas.

Figure 4 ARC and NLS partnered to stage a group exhibition at (e)merge art fair in Washington. DC, 2014. Image courtesy ARC Magazine

AD: I think the most critical thing for human beings is to feel a sense of belonging. Many of us might feel a sense of isolation for different reasons, whether it’s around queerness, feeling that you’re on the periphery because of race or class, or because you’re working in the arts. Many of these platforms across the Caribbean have become foster homes for contemporary visual artists. Somebody recently visited Fresh Milk and said they were so happy to be in what felt like a safe space for them. It’s important to create spaces where people can be who they are.

KK: Another thing in terms of multivocality is the blogs that we have asked artists in residence to write; it’s a very simple and tangible thing, but I think it really comes out of the discussions that we’re always having about archiving, and who is telling our own stories. I think people have approached the blog in different ways, but we always try to emphasize that we want it to be a space for somebody to just share their experience and their process, and their journey. I think it’s been a really good starting point to build some kind of an archive around Barbadian artists, Caribbean artists, or artists interested in working within the Caribbean.

Figure 5 Image from the blog entry of local artist in residence Kia Redman, 2019. Image courtesy Fresh Milk

Figure 6 2019 artist in residence Kia Redman during her community outreach activities at Workman’s Primary School, Barbados. Photographer: Ethan Knowles. Image Courtesy Fresh Milk

NMB: So there is this overwhelming evidence of multiple projects on inclusiveness, and yet there still seems to be a lingering critique of Fresh Milk in particular as an exclusionary space. How have you been navigating that in the past in terms of the work that you do?

KK: I think an external perception, and in some ways what we have struggled with internally as well, is the separation of self with organization. I know how we’ve tried to responsibly navigate that, and I think we’re still navigating it. We can’t change every perception, but we need to check in on ourselves and make sure that we’re not in any way feeding into that perception, that we are trying to be as open and inclusive as possible.

NMB: Two of the main regional projects arising from Fresh Milk have been Caribbean Linked and Tilting Axis. Can you start by sharing how Caribbean Linked was conceptualized?

AD: I would say Elvis[3] is one of the colleagues that I have been working with for the longest in the Caribbean. Elvis invited me to teach a drawing course in 1991 at Ateliers ’89 in Aruba. I left my teaching job at the St. Michael’s School in Barbados because I wanted to spend a year moving through the Caribbean and to better understanding my regional community. Elvis invited me back in 2011. And I said, well, I don’t want to come in on my own. I want to bring some people with me. At that time I started to get to know Holly, and wanted to meet John Cox of Popopstudios[4]. Elvis invited Rocio Aranda Alvarez (USA) and Paco Barragan (Spain). And it was in that moment that we thought that what we really need is a Caribbean residency for Caribbean artists.

Figure 7 Elvis Lopez and Annalee Davis at Ateliers ’89 Aruba in 2012. Photographer: John Cox. Image courtesy Annalee Davis

HB:  And it just seemed as though the environment of the Dutch Caribbean was just very different. They had art schools that want to do stuff with us.

KK: Unless you’re there in person, I don’t think you can understand exactly what it’s like to live in a space with these other people from 10 or 12 other Caribbean islands, speaking different languages, learning different things for each other. It all comes together in a very special way that you can’t really anticipate.

Figure 8 Caribbean Linked IV participating artists with Holly Bynoe and Elvis Lopez at Ateliers ’89 Aruba, 2016. Image courtesy Caribbean Linked.

NMB: There definitely seems to be a notion of care coming through these reflections. At larger institutions and museums, there’s this kind of superficial aspect of what care is, it’s almost performative. And really, it’s more about outreach, having people engage during pockets of time and then never having a kind of sustainable relationship after, whereas I find with Caribbean Linked and Tilting Axis, you have that sustainability of connections that arises out of a certain context of care for the artists in the space. So I wanted to ask each of you, which instances stand out to you in particular, that demonstrate this commitment to care?

HB:  I think, from the get go, our conversations revolved around this kind of generosity and care, creating something that was generative, that would allow for connections and not something that would only respond to the limitations but listen into the constellations and the configurations of people that were coming into and under our care.

KK: There’s also a dynamic where it isn’t hierarchical, even if the curators and artists are at different levels of their career. There is something that feels very lateral, and everybody’s coming in with the same level of curiosity and hoping to grow from this experience. It’s only three weeks; you’re going on insane amounts of tours, you’re trying to absorb this whole new environment of Aruba, and at the end, there is this tangible exhibition that has to be put out. Everybody comes together every time, even when we always think we’re not going to be able to pull it off. But you do, because everybody supports one another. I think that has been key to the success as to why people want to continue these relationships afterwards.

Figure 9 Jodi Minnis, Ronald Cyrille, Simone Asia and Alex Kelly working in the studios in Ateliers 89 for Caribbean Linked III, 2015. Image courtesy Caribbean Linked

AD: Also, for me, with Fresh Milk, Caribbean Linked and Tilting Axis, it’s important that we make decisions on Caribbean soil, advocating for what our needs are, driving our own agenda, not have it be prescribed externally. These platforms have become magnets for people across the region and the diaspora to reconnect and grow their network.

HB: I want to call in the memory of the baseboard cracking at Fresh Milk.

AD: Oh my God, yes, the support beam at Fresh Milk broke with the weight of all of the attendees at the first Tilting Axis the in first hour of the meeting!

Figure 10 Participants in the first Tilting Axis meeting at Fresh Milk, 2015. Photographer: Sammy Davis. Image courtesy Fresh Milk

HB: And with that I just want to address the intimacy of projects like Tilting Axis and Caribbean Linked. So we’re moving from bigger gestures to deeper concerted efforts around setting up a safe space for engagement, a safe space for complex conversations to happen. It gave us a sense of what might be possible with these meetings and gatherings and this convivial method, where you sit with somebody, you look them in the eye, form a circle, have lunch and tea, laugh, squirm, deal with your discomfort and get to the work of knowing.  And here we are in the middle of a dairy farm in the middle of Barbados with the foundation breaking from the weight of it all.

AD: We were committed in that initial gathering that this was to be action oriented, and we wanted something to come from this gathering. And that happened. Four more annual gatherings took place and a fellowship programme emerged.

AD: As you know, Caribbean Linked was virtual this year. And while it’s unfortunate not to be in Aruba in person, the group has cohered quite well already so when they get together in person next year, they would have had a head start in terms of getting to know each other Caribbean Linked VI should go very well. The Tilting Axis fellowship is continuing. We’ve just announced our new fellows for this year, and we could potentially have more fellowships happening with different institutions. And I think those are really important.

HB: We’d have to go back to the drawing board and to see what the new needs are now that we’re facing, the climate crisis….how do we become more responsible for our actions, our inaction in the world? Although the five iterations were challenging and tough to produce, the programming grew from strength to strength. I think it’s also really hard to think about institutional partnerships in a region that is collapsing institutionally. It’s really good that we can have this moment of pause and de-growth to question and clarify our intentionality around the Fellowship as well, because that feels like a tangible output as we build guidance for our lives and of course, shoring up the archives.

Figure 11 Tilting Axis 2017 Fellow Nicole Smyth-Johnson in conversation with Tiffany Boyle at Tilting Axis 3 in The Cayman Islands, 2017. Photographer: Roy Wallace. Image courtesy Tilting Axis

NMB: I wanted to touch on the notion of an archive, as I think that in a way is another legacy of professional projects that come out of these spaces in a way that really, there hasn’t been a centralized archive like it before that has ever been accessible. In accessing information about what has happened, historically, throughout the visual arts in the Caribbean, particularly the Anglophone Caribbean, there can be instances of gatekeeping, there’s a lack of material that still exists, a lot of material gets destroyed. And so I think that one of the ways that these aspects of multivocality and care are sustainable is through this archive, that people can access again and again and begin to engage with in new ways.

AD: This collective work demonstrates that the Caribbean is not an empty slate. In these archives that we are continually building, we demonstrate that people are thinking critically, that many things are happening across this region. This cannot be disputed and our growing archives prove that.

HB: Yes, it’s very deliberate. It’s a very deliberate action to make that recording, and to have it be of the moment, of its time. And because the archive is there, we’re also able to reflect differently on the work because oftentimes, once you move away from projects there is this learning, generation and mourning. So we don’t ever have to mourn that loss because in some way the archive recalls a sound, a feeling and that embedded movement and stillness.

NMB: The nature of Sour Grass is quite a different approach from these previous collaborations and projects we’ve been discussing, because it’s of its insertion into the commercial art world. How the process has been with regards to all these values that we’ve been talking about from both of your practices – the values of curatorial care and multivocality – how has that translated into Sour Grass as an entity that exists in the commercial art world?

AD: With Sour Grass we are thinking about our capacity to generate income, to be sustainable for ourselves and the artists we work with. We see this as an opportunity for our networks to invest in Caribbean artists, to be respectful of the administrative labour and to bring excellence to the table. Sour Grass recognizes that there is growing interest in what’s coming out of the Caribbean, and by entering these international platforms it means they aren’t continually driven by external forces but from within the region.

HB: Sour Grass comes at an interesting time in my life when I am making a more deliberate attempt to think about equity, my (self)care, daily responsibilities to my families and loved ones, and then thinking about the artistic community that have become our family as well – what is our obligation and responsibility to them? To ourselves? For our collaboration with the Atlantic World Art Fair making a virtual gallery space with work of artists whom we respect and admire with other Caribbean women gallerists and entrepreneurs, and some of them working in this field for three generations, is such a profound and deeply rewarding collaboration.

Figure 12 Holly Bynoe, Annalee Davis and Jasmine Thomas-Girvan at the Kunstinstituut Melly, 2021. Image courtesy Jeroen Lavèn.

AD: I do want to throw out two terms that I’ve been mulling around, which is de-growth and slow cultural work. De-growth challenges the constant desire for more, bigger, better, larger–desires that are killing the earth. The idea of slow cultural work, reinforced by COVID, is teaching me to have a more meditative approach to creating, working, and to slowing down. I also think that the Caribbean can be a very, very hard place that requires us to form a harsh exoskeleton when working in the arts, because it is a place that can also drive you mad. It can be a tough place in terms of its value system, one that doesn’t revere its artists, which can in turn contribute to a retreating. But at the end of the day, this is the space to which we are all committed to nurturing and indeed loving, through our collaborative work.

KK: In some ways though, this wouldn’t have been possible in any other kind of space. We wouldn’t have known each other’s work in the same way or done the things we have, even though we have these other challenges that still need to be addressed. But we could have been swallowed up in a metropolitan art scene where we never met, never formed relationships, and never had the opportunity to be this passionate about building something.

Many thanks to Holly Bynoe, Annalee Davis and Katherine Kennedy for their time and insight.

[1] Davis, “Archipelagic Affinities in an Ocean of Shifting Tides” Sea is history: Caribbean Experiences in Contemporary Art, 2016, p.15

[2] Please note that responses have been edited for clarity

[3] Elvis Lopez, founder of Ateliers ’89 in Aruba and key founding partner of Caribbean Linked

[4] Who had opened Popopstudios in The Bahamas

References

Davis, Annalee. “Archipelagic Affinities in an Ocean of Shifting Tides” in Sea is history: Caribbean Experiences in Contemporary Art, Davidoff Art Initiative, 2016

Dewdney, A., Dibosa, D., Walsh, W. Post-Critical Museology: Theory and Practice in the Art Museum, Routledge, 2013

Hadchity, Therese. The Making of a Caribbean Avant-Garde: Postmodernism as Post-nationalism, Purdue University Press, 2020.

McGuire, Natalie. “Kiko Ta Kiko?”, Caribbean Linked, 2015, https://caribbeanlinked.com/editions/caribbean-linked-iii/critical-writing/natalie-mcguire/ last accessed 15/10/2021

 

Natalie McGuire-Batson’s curatorial work engages community-driven discourse in culture, through research in Caribbean museology. Having completed a BA in History of Art at the University of Leicester and an MA in Museums and Cultural Heritage at the University of Auckland, she is currently a Ph.D. candidate in Cultural Studies at the University of the West Indies Cave Hill with a research focus on Anglophone Caribbean museums and community agency. She is the Curator – Social History and Engagement at the Barbados Museum & Historical Society and serves on several committees, including as Public Relations Officer for ICOM Barbados, and a member of the board for the Barbados National Art Gallery.