Femmes fondatrices de la pensée critique et artistique dans les Caraïbes hispaniques insulaires

À la mémoire de Jeannette Miller,
l’une des femmes phares de ce processus.

Yolanda Wood

Penser à la place occupée par les femmes dans la construction d’une pensée critique sur l’art dans la Caraïbe hispanophone, c’est démontrer la signification de leur rôle dans le domaine des études sur l’art, ainsi que leur contribution à l’édification, l’écriture, la structuration et la projection internationale des arts plastiques dans les îles de Cuba, Puerto Rico y la République Dominicaine, dans les années 70-80, bien que je mentionne d’autres figures antérieures comme María Aybar, María Ugarte, Loló de la Torriente, Nilita Vientós. Isabel Cintrón, entre autres.

Maria Aybar

Maria Urgate

Lolo de la Torriente

Je considère la révision de ces trajectoires comme un exercice de mémoire, pour valoriser ces autres apports qui ont aussi contribué à documenter, valoriser et systématiser les processus artistiques. Ces femmes savaient regarder et voir ce qui surgissait dans les univers de la création et, au sein de ce foisonnement, mener à bien la décantation et la synthèse nécessaires à la recherche et à la production de connaissance. Elles ont rendu leurs expériences artistiques transcendantes, parce qu’elles les mêlaient

à leur vie. Les travaux de ces autrices surgissant dans ces trois îles constituent des précédents essentiels pour les études sur l’art. Toutes trois nées vingt ans avant le milieu du siècle dernier, elles vivent intensément les complexes années 60, alors qu’elles terminent leur formation et qu’elles sont au zénith de leur maturité intellectuelle. Leur production et leurs actions sont déterminantes pour le champ artistique des années 70 et 80.

Dans cet essai, j’inclus les noms d’Adelaida de Juan et Graziella Pogolotti à Cuba ; Jeannette Miller et Marianne de Tolentino en République Dominicaine ; Haydée Venegas, Marimar Benítez, Myrna Rodríguez et Teresa Tió à Porto Rico. Toutes ont laissé une œuvre significative dont on peut se demander rétrospectivement si elle ne constitue pas les prémisses d’une plateforme critique pour l’écriture féministe. Sans vouloir aborder la complexité de ce problème qui a déjà dû faire couler beaucoup d’encre, je souhaite souligner certains aspects de ces écrits qui me semblent aller dans ce sens : l’un d’eux est la relation autrice-texte-lectrice qui recherche une immédiateté relationnelle et de proximité. En particulier, ce procédé s’incarne dans une écriture à profil essayistique et journalistique sur l’art (bien que certaines de ces autrices s’essayaient aussi à autres genres littéraires) qui valorisait les supports médiatiques, ce qui non seulement mêlait les autrices à la vie publique, mais qui rendait les textes participants actifs socialement, de même que leurs textes pour des catalogues de formats variés qui ont la particularité de circuler entre les lectrices de main en main.

Un autre aspect de leur apport est d’avoir choisi de s’exprimer dans le domaine de la culture, où leurs voix amplifiées purent porter depuis des lieux sensibles et démanteler les discours établis. Leurs rôles furent également pertinents dans la gestion muséale et institutionnelle, en tant que curatrices et directrices de structures, d’où elles purent ouvrir de nouveaux espaces pour surmonter les marginalités et les exclusions, se rapprochant dans l’ontologie du langage féminin depuis l’écriture et l’action sociale, au courant dit de la « gynocritique », dont le début est généralement signalé au début des années 1970 —lorsque Linda Nochlin se demandait Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes. Ces apports sont contemporains de ceux d’autres figures fondamentales pour la critique latino-américaine et internationale, comme Marta Traba, Rita Eder, Raquel Tibol, Susan Sontag, Rosalinda Krauss, Lucy Lippard et Shifra Goldman, entre autres. Toutes ces femmes, comme leurs collègues des Caraïbes, s’orientèrent vers des domaines thématiques qui cherchaient un lien avec l’art de manière multifocale. Ainsi, l’écriture de ces femmes fut comme autant de coups de griffes pour affirmer de nouvelles visions et apports. Parmi les aspects qui me semblent les plus pertinents, je soulignerai :

1.Valorisation d’un parcours artistique et d’un passé visuel

Publié en 1979, La Historia de la pintura dominicana [L’histoire de la peinture dominicaine] de Jeannette Miller est un livre essentiel, qui comme Pintura cubana: temas y variaciones [Peinture cubaine : thèmes et variations] et Peintures et gravures coloniales cubaines [Pinturas y grabados coloniales cubanos], publiés par Adelaida de Juan dans les années 1970, organisent les moments les plus importants de l’art national et contribuent ainsi à jeter les bases d’un discours pour les études sur l’art.

En 1983, Haydée Venegas procède à d’importantes révisions historiographiques à partir d’une figure et d’une œuvre qu’elle a contribué à définir comme fondatrice d’une tradition picturale nationale. Je fais référence à ses études sur la figure de Francisco Oller et à l’une de ses œuvres d’excellence, « El Velorio ». Dans le texte intitulé « Perfil de un pintor puertorriqueño » [Profil d’un peintre portoricain], Venegas le définit comme un « réaliste impressionniste » qui met en évidence « les problèmes liés à la controverse omniprésente autour de la nature du style ». Haydée concentre son attention critique sur « El Velorio », pour en distinguer les valeurs de critique sociale.

2.Le problème des influences nationales et internationales

Dans son texte « ¿Cuál es el paisaje cubano ? » [Qu’est-ce que le paysage cubain ?] de 1983, Adelaida de Juan s’exprime sur les problématiques de changement et renouveau dans l’expression du national dans l’art et sa relation avec les influences internationales, en faisant référence au peintre Carlos Enríquez dont les « chevaux, femmes et hommes s’entrelacent, se mélangent les uns aux autres et au paysage. Ils produisent l’effet d’un mouvement frénétique, d’une sorte de danse rituelle dans laquelle tous les membres viennent se fondre en un seul ensemble ». Dans cette description voluptueuse et onirique, on semble assister à l’expression d’un surréalisme qui intéressait l’artiste. Graziella Pogolotti dans son essai « Redescubrimiento de Carlos Enríquez » [Redécouverte de Carlos Enríquez] publié en 1983, expliquait : « ce n’était pas un surréaliste à l’européenne, ni même un pur surréaliste » mais précisait que ce que Carlos pouvait avoir en commun avec eux était « la recherche de paysages déhierarchisés et la revendication d’expressions artistiques de différentes natures, issues à la fois de la vie moderne et de sources non européennes. »

L’autrice polémique également sur ces questions dans un classique sur l’art moderne cubain, El camino de los maestros [Le chemin des maîtres], publié en 1979. Elle distingue que, pour convertir la réalité en symboles à travers la conceptualisation des choses, les artistes devaient « découvrir le monde nous entourant depuis une nouvelle perspective ». Et de se demander comment dépasser la dimension réaliste de la tradition précédente pour « exprimer de manière synthétique un univers extraordinairement riche… qui serait dépouillé de tout ce qui est contingent, accentuant la structure et la couleur, éliminant le superflu et réaffirmant certains motifs ».

Pour sa part, Jeannette Miller a déclaré à propos du cas dominicain que « au cours des années 1940, les caractéristiques qui définissaient la dictature de Trujillo ont contribué, tant dans la peinture que dans la littérature, à l’utilisation de symboles et d’abstractions pour exprimer certaines préoccupations ». Une situation qui s’aggravera dans les années cinquante, précise l’auteur, en raison des tensions et des persécutions qui règnent dans la société, « à Saint-Domingue l’émergence de l’abstraction est informée par un environnement répressif qui conduit les artistes à une intensification spiritualiste comme une échappatoire à la contradiction grotesque de l’homme-géographie dans un pays luxuriant où les gens meurent de force ou de faim ». Dans l’art dominicain, certains artistes avaient entamé un parcours abstractionniste et Jeannette Miller en parle synthétiquement de la manière suivante :

Les artistes qui ont émergé dans ces années-là sont ceux qui ont développé l’art abstrait dominicain. Parmi eux, se démarquent Eligio Pichardo (1930-1984), Paul Giudicelli (1921-1965), Domingo Liz (1931), Fernando Peña Defilló (1928), Silvano Lora (1931), Gaspar Mario Cruz (1925), Antonio Toribio (1934), Ada Balcácer (1930)…Eligio Pichardo utilise un langage moderne dans une œuvre expressionniste géométrique qui n’abandonne jamais complètement la figuration.

À Porto Rico, le mouvement abstrait était très important au cours de ces mêmes années, et en 1984, Myrna Rodríguez nous laisse le texte « Abstractionists in congress : art takes a new turn » [Congrès des artistes abstraits : l’art prend un nouveau tournant], un sujet sur lequel Marianne de Tolentino a également écrit un essai en 1985 intitulé « Congreso y exposición de artistas abstractos en Puerto Rico » [Congrès et exposition d’artistes abstraits à Porto Rico].

Dans Arte dominicano: artistas españoles y modernidad 1920-1961 [Art dominicain : artistes espagnols et modernité 1920-1961] publié en 1996, Jeannette Miller revisite de façon critique cette période et conclut que « les années 60 sont une période clé où les artistes des Caraïbes hispanophones étudient davantage et recherchent des langages figuratifs cherchant à se distancier de la complaisance et la superficialité ». Ce sont les années d’Art et Libération et du Front Culturel en République Dominicaine qui synthétisent les désirs participatifs des artistes à des moments critiques pour la nation. Jeannette Miller relate :

 

Un nouvel art réalisé par des autodidactes et des universitaires apparut sur les banderoles et les panneaux publicitaires dans les rues, où l’échelle du mur fut travaillée depuis le réalisme social et dans un expressionnisme décomplexé. Des visages déformés par la douleur, des poings levés, des bras brandissant des fusils, des mères et leurs enfants morts, que paysages urbains remplis de bâtiments en feu furent la marque de cette époque.

 

En 1983, Jeannette Miller publie Fernando Peña Defilló: Desde el origen hacia la libertad [Fernando Peña Defilló : De l’origine à la liberté]. L’artiste était revenu au pays en 1963, dans un contexte politique très tendu. Ses œuvres étaient très impressionnantes grâce à l’utilisation de techniques extra-picturales. La mort devint son obsession comme dans le Baquiní et d’autres œuvres, produisant un basculement dans l’univers artistique de Peña-Defilló. À cet égard, Marianne de Tolentino a précisé dans son texte « Quand Fernando Peña Defilló revient » de 1980, que l’auteur utilise la technique du collage « avec une virtuosité extraordinaire, réussissant à disposer et superposer cinq épaisseurs différentes et imperceptibles en même temps si l’on analyse le matériel morphologique d’un Baquiní. »

Peña Defilló, accompagné d’artistes emblématiques, a fondé le groupe Proyecta en 1968, qui a eu un impact considérable sur la dynamique de l’art national. Ce mouvement est né à une époque marquée par de vifs débats au sein de la communauté artistique, portant sur le rôle du créateur et les fonctions de l’art. Comme l’a souligné Jeannette Miller : « … la nécessité d’un changement dans tous les domaines… touchait également, avec sensibilité, le monde des arts ». Selon la critique d’art, la société de l’époque était en pleine transition, caractérisée par une « ouverture humaine et artistique » et une « jouissance intense des libertés d’expression », en écho aux luttes politiques menées par le peuple. L’auteure conclut que « le concept d’art a évolué parce que le concept de réalité a changé ».

3.La diversité des manifestations du champ artistique : la photographie et l’affiche

En 1989, Adelaida de Juan publie Pintura y diseño gráfico de la Revolución [Peinture et graphisme de la Révolution], un ouvrage dans lequel elle compile plusieurs années de recherches sur ces thèmes, avec une attention particulière portée au graphisme. Elle y met en avant l’importance du design d’affiches cinématographiques et culturelles des années 1960 à Cuba, notamment celles créées par l’Institut cubain d’art et d’industrie cinématographique (ICAIC) ainsi que d’autres institutions du pays. L’ouvrage comprend également des essais consacrés à la photographie et aux photographes, évoquant notamment l’emblématique photo d’Ernesto Che Guevara prise par Korda en 1960, souvent considérée comme l’une des images les plus marquantes du siècle.

Les recherches de Teresa Tío sur l’affiche et le mouvement graphique à Porto Rico ont produit deux textes de référence : « El portafolios gráfico o la hoja liberada » [Le portfolio graphique ou la feuille libérée] (1995) et El Cartel en Puerto Rico [Le cartel à Porto Rico] (2003). Cependant, son exploration du graphisme remonte à la période étudiée dans cet essai, avec des contributions clés telles que Texto y contexto del cartel puertorriqueño [Texte et contexte de l’affiche portoricaine] (1985); Lorenzo Homar y el cartel en el Taller del Instituto de Cultura Puertorriqueño 1957-1972 [Lorenzo Homar et l’affiche à l’atelier de l’Institut portoricain de la culture, 1957-1972] (1982), o Las Bienales de San Juan del Grabado Latinoamericano y del Caribe: una síntesis [Les Biennales de San Juan de gravure latino-américaine et caribéenne : une synthèse] (1987). Il est également important de mentionner l’approche critique de Marimar Benítez sur le graphisme, présente dans des textes comme Tres décadas de gráfica puertorriqueña [Trois décennies de graphisme portoricain] (1983) et Arte y política: el caso de Carlos Irizarry [Art et politique : le cas de Carlos Irizarry] (1985), où elle met en lumière le caractère protestataire et résistant de l’œuvre de cet artiste, profondément engagé dans les luttes sociales de Porto Rico à la fin des années 1960 et 1970.

4.Origines culturelles, relations entre africanité et nation dans l’art

L’appropriation du monde mythico-religieux afrodescendant a révélé à quel point cet univers visuel est profondément lié aux pratiques culturelles et aux rituels. En ce qui concerne le travail de Wifredo Lam, Adelaida de Juan précise dans son texte « Lam: una silla en La Jungla  » [Lam : une chaise dans la jungle] (1986) qu’il n’y a «  aucun élément représentatif ni de liturgies ni d’idoles » dans l’œuvre. Elle y voit plutôt des « prétextes évocateurs », où les images « suggèrent plus qu’elles ne définissent ». Elles n’évoquent aucun orisha ni ne s’engagent dans une symbologie précise, évoluant dans un monde de feuillage et de nature vivante.

De son côté, Marianne de Tolentino, dans Jorge Severino, veinte años de pintura [Jorge Severino, vingt ans de peinture] (1986), met en lumière le parcours de cet artiste à un moment où il acquiert une reconnaissance nationale et internationale. Elle évoque la première phase de son « album de famille » et la fière affirmation de la diaspora africaine dans ces œuvres, que Jeannette Miller avait qualifiées en 1975 d’« exaltation de la noirceur ». En parlant de Las Novias para Ogún [Des mariées pour Ogún] (1985), Tolentino décrit dans Jorge Severino y el culto a la belleza [Jorge Severino et le culte de la beauté] une œuvre à la fois sensuelle et empreinte de « supranaturalité mystique », peut-être transmise par des gestes figés et des tenues cérémonielles. Cet abandon est à la fois « sacramentel et magique ».

La survivance d’un héritage à la fois autochtone et africain se manifeste également dans l’œuvre de Paul Giudicelli, qui réinterprète ces univers symboliques avec une syntaxe moderne. Son travail, comme le décrit Jeannette Miller dans Paul Giudicelli. Sobreviviente de una época oscura [Paul Giudicelli. Survivant d’une époque sombre] (1983), s’inscrit « dans un cadre ethnoculturel où les racines précolombiennes, ainsi que les influences africaines, profondément ancrées dans nos rituels populaires, refont constamment surface ».

5.Femmes et diasporas dans les arts insulaires

Les écrits de Marimar Benítez, tels que La realidad en la gráfica de Myrna Báez [La réalité dans le graphique de Myrna Báez] (1982), Myrna Báez: de la claustrofobia y pasividad del colonizado [Myrna Báez : sur la claustrophobie et la passivité des colonisés] (1988) y Susana Herrero : del arte de las mujeres, la litografía, lo erótico [Susana Herrero : sur l’art de la femme, la lithographie, l’érotisme] (1983), témoignent de son intérêt pour la représentation des femmes dans l’art portoricain et de son approche critique au sein du discours contemporain. L’entretien réalisé par Margarita Fernández Sabala avec Myrna Báez en 1983, lors de sa rétrospective au Museo del Barrio de New York, s’avère également très éclairant.

La relation entre l’art portoricain et les artistes issus de contextes diasporiques aux États-Unis est particulièrement significative dans le texte de Marimar Benítez publié en 1988, El caso especial que Puerto Rico [Le cas particulier de Porto Rico]. Dans cet ouvrage, elle explore un phénomène qui devient un sujet d’intérêt pour les îles hispaniques des Caraïbes, en mettant en lumière des figures telles qu’Olga Albizu, qui a gagné en reconnaissance à New York, ainsi que d’autres artistes comme Johnny Vázquez et Millito López. Ces derniers, à travers leurs peintures murales dans l’espace public, expriment « la nostalgie de la vie sur leur île dans l’environnement froid et incolore de New York ».

Ce thème est crucial pour les îles hispaniques des Caraïbes et a été abordé par de nombreuses femmes pionnières de la pensée critique et artistique dans les décennies qui ont suivi, telles que Myrna Guerrero, Laura Gil, Delia Blanco, Luz Merino, Flavia Marichal, Mari Carmen Ramírez, María Emilia Somoza, Alanna Lockward, et María Elena Ditrén. Des artistes plus contemporaines comme Paula Gómez, Sara Hermann et Kirenia Rodríguez continuent de projeter une critique pertinente à l’époque actuelle.

Texte écrit suite à conférence présentée lors du XVI Simposio International d´Histoire et critique d´art : « La femme dans l´art dominicain et caribéen : tradition et rupture » organisé par l´Ecole de Critique et Histoire de l´Art de l´Université Autonome de Sain Domingue (UASD) Octobre 2021.

Yolanda Wood, Docteur en histoire de l’art a fondé en 1985 la chaire d’art des Caraïbes à l’Université de La Havane.

Elle a donné des cours d’art cubain et caribéen dans institutions académiques à l’Université Iberoamericana de Mexico, à l’UNAM, à l’Institut des enquêtes esthétiques (Mexique), à ​​l’Université polytechnique (Valence) et à l’Université Quisqueya (Haïti), entre autres.

Elle a publié des travaux scientifiques dans de très nombreux magazines spécialisés nationaux et internationaux. Parmi ses livres récents, on peut citer : Proyecto de artistas cubanos en los años 30 (Letras Cubanas, 2006), Islas del Caribe: naturaleza-arte-sociedad (Université de La Havane-CLACSO, 2012) et Caribe : universo visual (Éditorial Félix Varela, 2017).

Doyen de la Faculté des arts et lettres de l’Université de La Havane (1994-2000) et Vice-Recteur de l’Institut supérieur d’art de Cuba (1985-91). Directrice du Centre d’études caribéennes à la Casa de las Américas (La Havane) et à Anales del Caribe (2006-2016).

Mujeres fundadoras de un pensamiento crítico-artístico en el Caribe hispano insular.

A propósito del reconocimiento a Jannette Miller,
una de las mujeres insignias en ese proceso.

Yolanda Wood

Pensar el lugar que ha ocupado la mujer en la construcción de un pensamiento crítico-artístico en el Caribe hispano tiene la intención de demostrar la alta significación de su papel en los estudios sobre arte y sus aportes en la fundación de la escritura, la gestión y la proyección internacional de las artes plásticas de las islas de Cuba, Puerto Rico y República Dominicana que delimitaré en la temporalidad de los años 70-80, bien que  menciono algunos nombre precedentes somo María Aybar, María Ugarte, Loló de la Torriente, Nilita Vientós.  Isabel Cintrón, entre otros.

Maria Aybar

Maria Urgate

Lolo de la Torriente

La observación en retrospectiva de esas trayectorias la asumo como un ejercicio de memoria, para poner en valor esa otra zona que contribuyó a documentar, potenciar y sistematizar los procesos artísticos. Ellas supieron mirar y ver lo que emergía en los universos de la creación, y dentro de esa amalgama producir la decantación y la síntesis necesarias a la investigación y al conocimiento. Se trata de mujeres que hicieron de sus experiencias algo trascendente, viviéndolas en simultaneidad. Y es ahí, donde aflora la obra de autoras que en las tres islas sentaron imprescindibles precedentes para los estudios de arte, todas nacidas veinte años antes de la mitad del pasado siglo, algunas vivieron con intensidad los complejos años 60 cuando estaban completando su formación o se encontraban en plenos momentos de madurez intelectual. Todas con una producción y acción imprescindibles para los estudios de arte entre los años 70 y 80.

En esa muestra incluyo los nombres de Adelaida de Juan y Graziella Pogolotti en Cuba; Jeannette Miller y Marianne de Tolentino en República Dominicana; Haydée Venegas, Marimar Benítez, Myrna Rodríguez y Teresa Tió en Puerto Rico. Todas dejaron una obra significativa sobre la que podríamos preguntarnos si constituyó a su vez una plataforma crítica de escritura feminista. Sin pretender abarcar la complejidad del problema que llena numerosas cuartillas en los estudios sobre el feminismo, me interesa resaltar algunos aspectos que comprende esa escritura que sí considero presentes en estas autoras: uno de ellos la relación autor-texto-lector en busca de la inmediatez relacional y el contacto. En el caso que nos ocupa, se trató de una escritura de perfil ensayístico y periodísticos sobre arte (bien que algunas de ellas escriben otros géneros literarios) que puso en valor los soportes mediales lo que no solo insertó las autoras en la vida pública, sino que hizo a los textos partícipes de una semiosis social, así como también las palabras para catálogos en una variedad de formatos que tienen esa particular relación con los lectores en el mano a mano.

Por otra parte, ellas eligieron hablar en el territorio de la cultura, lo que empoderó sus voces y las introdujo en zonas sensibles para desmontar los discursos instaurados. Sus roles fueron también relevantes desde la dirección de instituciones y museos, como curadoras y gestoras, y desde ellos abrieron nuevos espacios para superar marginalidades y exclusiones, lo que interesa a las ontologías del lenguaje femenino en la escritura y en la acción social, según lo entiende la denominada “ginocrítica”, cuyo comienzo suele citarse a comienzos de 1970 cuando Linda Nochlin se preguntaba ¿Por qué no han existido grandes artistas mujeres? Y aparecían nombres fundamentales en la crítica latinoamericana e internacional como Marta Traba, Rita Eder, Raquel Tibol, Susan Sontag, Rosalinda Krauss, Lucy Lippard y Shifra Goldman, entre otras. Todas ellas, como las caribeñas, se orientaron hacia áreas temáticas que buscaban la conexión con el arte de manera multifocal. Así la escritura profesional de estas mujeres, rasguñó para propiciar nuevas visiones y aportaciones. Entre esos aspectos que me parecen muy relevantes, destacaré:

1.Uesta en valor de una trayectoria artística y un pasado visual

Fue en 1979 que se publicó La Historia de la pintura dominicana por Jeannette Miller, un libro imprescindible, que como Pintura cubana: temas y variaciones y Pinturas y grabados coloniales cubanos, que Adelaida de Juan publicó la década del 70, ordenan los más importantes momentos del arte nacional, y así contribuyeron a fundar las bases de un discurso para los estudios de arte.

En 1983, Haydée Venegas hizo importantes revisiones historiográficas a partir de una figura y una obra que ella ayudó a definir como fundadora de una tradición pictórica nacional. Me refiero a sus estudios sobre la figura de Francisco Oller y una de sus obras de excelencia, “El Velorio”. En el texto que denominó “Perfil de un pintor puertorriqueño”, lo define como un “realista del impresionismo”, que evidencia “las cuestiones relacionadas con la siempre presente controversia en torno a la naturaleza del estilo”. Haydée centra su atención crítica en el “El Velorio”, para distinguir sus valores de crítica social.

2.El problema de lo nacional y las influencias internacionales

Acerca de la problemática de renovación y cambio en la búsqueda de lo nacional en el arte y su relación con las influencias internacionales, Adelaida de Juan expresaba en su texto «¿Cuál es el paisaje cubano?» de 1983, refiriéndose al pintor Carlos Enríquez que sus “Caballos, mujeres, y hombres se entrelazan, se mezclan entre sí y con el paisaje. Producen el efecto de un movimiento frenético, de una especie de danza ritual en la cual llegan a fundirse en una sola unidad todos los integrantes de la misma”. En esa apariencia voluptuosa y hasta onírica parecían revelarse expresiones de un surrealismo que interesó al artista. Graziella Pogolotti en su ensayo “Redescubrimiento de Carlos Enríquez” publicado en 1983, expresaba: “no se trataba de un surrealista a la europea, ni siquiera de un surrealista a secas” ¨ y precisaba que lo que Carlos podría tener en común con ellos era “la búsqueda de paisajes no jerarquizados y la reivindicación de expresiones artísticas de distinta naturaleza procedentes, tanto de la vida moderna, como de fuentes no europeas”.

Y polemiza la autora sobre estos asuntos en un clásico sobre el arte moderno cubano, El camino de los maestros, publicado en 1979. Distingue que los artistas para convertir la realidad en símbolo hacia la conceptualización de las cosas nuestras tenían que “descubrir con mirada nueva el mundo que les rodeaba”. Y se preguntaba, cómo superar la dimensión realista propia de la tradición precedente para, “expresar de manera sintética un universo extraordinariamente rico…que irá despojándose de todo lo contingente, acentuando la estructura y el color, eliminando lo superfluo y reafirmando ciertos motivos”.

Por su parte Jeannette Miller decía sobre el caso dominicano que “durante los años cuarenta las características que definían la dictadura de Trujillo contribuyeron tanto en la pintura como en la literatura, al uso de símbolos y abstracciones para poder expresar inquietudes”. Situación que se hará mucho más aguda en los cincuenta, precisa la autora, por las tensiones y persecuciones reinantes en el ambiente, “en Santo Domingo el surgimiento de la abstracción viene pautado por un ambiente represivo que lleva los artistas a una dimensionalización espiritualista como escape a la grotesca contradicción hombre-geografía en un país exuberante donde la gente muere por fuerza o por hambre”. En el arte dominicano algunos artistas habían iniciado un trayecto abstraccionista y Jeannette Miller lo expresa sintéticamente del modo siguiente:

Los artistas que emergen en esos años son los que desarrollan el arte abstracto dominicano. Entre ellos se destacan Eligio Pichardo (1930-1984), Paul Giudicelli (1921-1965), Domingo Liz (1931), Fernando Peña Defilló (1928), Silvano Lora (1931), Gaspar Mario Cruz (1925), Antonio Toribio (1934) y Ada Balcácer (1930) …Eligio Pichardo utiliza un lenguaje moderno y produce una obra expresionista geométrica que nunca abandona por completo la figuración.

En Puerto Rico el movimiento abstracto resultó muy significativo por esos mismos años, y Myrna Rodríguez nos legó un texto en 1984, “Abstractionists in congress : art takes a new turn”, cuestión sobre la que Marianne de Tolentino también escribió un ensayo en 1985 que intituló “Congreso y exposición de artistas abstractos en Puerto Rico”.

En Arte dominicano: artistas españoles y modernidad 1920-1961 publicado en 1996, se realiza una revisitación crítica a ese período en la que Jeannette Miller dice que “los 60 son un período clave donde los artistas del Caribe hispanófono investigan más y buscan lenguajes figurativos ajenos a la complacencia y la superficialidad”. Fueron los años de Arte y Liberación y el Frente Cultural en República Dominicana que sintetizaron las ansias participativas de los artistas en momentos críticos para la nación. Jeannette Miller expresó :

un arte nuevo hecho por autodidactas y académicos apareció en pancartas y vallas callejeras, donde se trabajó la escala mural con realismo social o expresionismo desgarrado. Rostros deformados por el dolor, puños en alto, brazos levantando rifles, madres con niños muertos y un paisaje urbano lleno de edificios llameantes, fueron el sello distintivo de esta época.

En 1983, Jeannette Miller publicó Fernando Peña Defilló: Desde el origen hacia la libertad. El artista había regresado al país en 1963, en circunstancias políticas de mucha tensión. Sus obras eran muy impactantes por el uso de materiales extra-pictóricos. La muerte acaparó su atención en el Baquiní y otras piezas, produciendo un cambio en el universo artístico de Peña -Defilló. Al respecto precisó Marianne de Tolentino en su, texto “Cuando vuelve Fernando Peña Defilló” de 1980, que el autor maneja la técnica del collage…con una extraordinaria virtuosidad llegando a disponer y superponer cinco espesores diferentes e imperceptibles a la vez si analizamos la morfología material de un Baquiní”.

Peña Defilló con artistas muy representativos crearon el grupo, Proyecta (1968), que tendrá una enorme importancia en la dinámica del arte nacional. Surgió en un momento de intensos debates en el ambiente artístico acerca de la labor del creador y de las funciones del arte, Jeannette Miller expresaba que “…la necesidad de un cambio en todos los órdenes… abarcó sensiblemente el ámbito de las artes”. Se trataba de “una sociedad en transición”, ha precisado la crítica de arte que tuvo el carácter de “una apertura humana y artística” y “un intenso disfrute de las libertades expresivas” que parecían corresponder al de las batallas políticas libradas por el pueblo. Y sentencia la autora: “el concepto de arte cambió pues el concepto de la realidad había cambiado”.

3.La diversidad de manifestaciones del campo artístico: la fotografía y el cartel

En 1989, Adelaida de Juan publicó Pintura y diseño gráfico de la Revolución, un libro en el que compilaba varios años de trabajo sobre estos temas, y en especial sobre la gráfica. Destacaba como había sido muy notable a partir de la década de 1960 en Cuba, la cartelista cinematográfica y cultural con los afiches del Instituto Cubano de Arte e Industria Cinematográfica (ICAIC) y otras instituciones del país. También dedicó ensayos a la fotografía y a los fotógrafos, y a aquella imagen tomada por Korda a Ernesto Che Guevara en 1960 que está considerada como una de las mejores del siglo.

especial significación fueron las obras de Teresa Tío sobre el cartel y el movimiento gráfico en Puerto Rico que tienen dos textos de referencia como son “El portafolios gráfico o la hoja liberada”, 1995 y El Cartel en Puerto Rico 2003. Pero su obra sobre la gráfica comenzó desde el período que nos ocupa con algunos ensayos fundamentales como Texto y contexto del cartel puertorriqueño, 1985; Lorenzo Homar y el cartel en el Taller del Instituto de Cultura Puertorriqueño,1957-1972, del año 1982 o Las Bienales de San Juan del Grabado Latinoamericano y del Caribe: una síntesis, 1987. Es de destacar también la orientación crítica de Marimar Benítez sobre la gráfica en textos como Tres décadas de gráfica puertorriqueña de 1983, así como Arte y política: el caso de Carlos Irizarry 1985, en el que pone énfasis en el carácter de protesta y resistencia en la obra de este autor, profundamente comprometido con la situación del país cuando pasaban los años 60 y 70. 

4.Fuentes culturales, las raíces africanas de nuestra nacionalidad en el arte

La apropiación del mundo mítico religioso de origen afro ha revelado cómo ese universo de imágenes está asociado fuertemente a las prácticas culturales y a una ritualidad. A propósito de la obra de Wifredo Lam, precisa Adelaida de Juan en su texto “Lam: una silla en La Jungla” de 1986, que en la obra “no se aprecian elementos representativos ni de liturgias ni de ídolos”. Se trata de “asideros evocadores” por lo que sus imágenes “sugieren más que definen”, no deletrea a ningún orisha ni intenta ninguna simbología precisa en un mundo que es fronda y naturaleza viva. 

 Por su parte, Marianne de Tolentino publicó también en 1986, Jorge Severino, veinte años de pintura, en el que resalta la trayectoria del artista que estaba cosechando importantes reconocimientos nacionales e internacionales. Hablaba de la primera fase de su “álbum de familia” y de la manifestación orgullosa de la diáspora africana en esas piezas, las que Jeannette Miller llamó Exaltación de la negritud en 1975.  Refiriéndose a Las Novias para Ogún, en 1985, decía Marianne de Tolentino en Jorge Severino y el culto a la belleza, que son sensuales y « exhalan una supranaturalidad mística, comunicada tal vez por la gestualidad inmóvil y el atavío ceremonial ». El acto de la entrega, es « sacramental y mágico » a la vez.

La supervivencia de una herencia cultural tanto aborigen como afro, presentes en la obra de Paul Giudicelli quien hizo una original reapropiación de esos universos simbólicos con una sintaxis moderna. Su obra se desarrolló “dentro de una temática etno-cultural donde las raíces precolombinas y las influencias negras posteriores, tan enraizadas en nuestros rituales populares, afloraban permanentemente”, así lo expresaba Jeannette Miller en su libro Paul Giudicelli. Sobreviviente de una época oscura.de 1983.

5.La mujer y las diásporas en las artes insulares

Textos de Marimar Benítez como La realidad en la gráfica de Myrna Báez, 1982; Myrna Báez: de la claustrofobia y pasividad del colonizado, 1988 y Susana Herrero : del arte de las mujeres, la litografía, lo erótico, 1983 son reveladores de su interés por el tema de la mujer en el arte puertorriqueño y de su inserción crítica en el discurso del arte contemporáneo. Es también muy aportativa la entrevista a Myrna Baez que realizó Margarita Fernández Sabala en 1983 cuando tenía lugar su exposición retrospectiva en el Museo del Barrio en Nueva York. Esa relación del arte y los artistas boricuas con los contextos diaspóricos en los Estados Unidos alcanza gran relevancia en el texto de Marimar Benítez publicado en 1988, El caso especial que Puerto Rico, en el que examina un proceso que se extenderá como tema de interés para las islas hispanas del Caribe y que la autora examina en figuras como Olga Albizu que lograron reconocimiento en Nueva York  y otros  artistas como Johnny Vázquez y Millito López quienes expresaban en sus murales en el espacio público, “la añoranza de sus vidas en la Isla en el ambiente frío e incoloro de la ciudad de Nueva York”. Se trata de un tema esencial para las islas hispanas del Caribe, que como muchos otros tratados por estas mujeres fundadoras de un pensamiento crítico-artístico en aquellos años que siguieron como Myrna Guerrero, Laura Gil, Delia Blanco, Luz Merino, Flavia Marichal, Mari Carmen Ramírez, María Emilia Somoza, Alanna Lockward, María Elena Ditrén y figuras más recientes como Paula Gómez, Sara Hermann y Kirenia Rodríguez en proyección  de una crítica en tiempos contemporánea.

XVI Simposio International d´Histoire et critique d´art:  » La femme dans l´art dominicain et caribéen: tradition et rupture » organisé par l´Ecole de Critique et Histoire de l´Art de l´Université Autonome de Sain Domingue ( UASD) Octobre, 2021