Pourquoi une critique d’art antillaise-caribéenne ? 

Réflexions autour de la théorie esthétique et critique de René Ménil

Poser la question de la critique d’art en philosophie, c’est nécessairement interroger deux concepts : celui d’« art » et de « critique ». C’est donc faire un détour vers le « domaine » de l’esthétique et le « champ » de la critique. D’où les infinis commentaires, lorsqu’il est question par exemple de faire une histoire de la critique d’art, sur le criticisme kantien, sur la philosophie de l’art de Diderot, sur la critique chez Mallarmé, et ainsi de suite. Mais que se passe-t-il lorsque nous posons la question de la critique d’art depuis les Antilles (Guadeloupe, Martinique) ? Sommes-nous contraints de nous référer à une même histoire européenne ? Tout l’enjeu de ce texte est de penser une histoire philosophique et proprement antillaise de la problématisation de la critique d’art à travers la figure du philosophe martiniquais René Ménil et son livre Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles publié en 1981 aux éditions Robert Laffont. Pourquoi lui ? Car il est le premier qui, aux côtés de Suzanne Césaire, ira aussi loin dans le développement philosophique d’une théorie de l’art antillais, théorie qui influencera le développement de la peinture antillaise de la seconde moitié du XXe [1] siècle. Toute critique d’art (en tant qu’activité consistant à discourir sur des œuvres) repose sur des a priori esthétiques, sur une idée de la critique et de l’art. D’où l’importance de remonter à René Ménil qui est probablement l’un des premiers aux Antilles à avoir théorisé de manière aussi serrée de tels concepts depuis la situation antillaise, si bien que, même aujourd’hui, la critique d’art continue de se confronter aux mêmes questions.

Quelles sont les raisons d’une critique d’art antillaise ? L’horizon d’une telle critique est-il de révéler un quelconque art antillais (ou caribéen) propre à travers la pratique du commentaire, de l’analyse et de la chronique ? En bref, quel sens donnons-nous à la pratique de la critique d’art aux Antilles ?

René Ménil esquissera un concept de critique d’art depuis la situation antillaise. S’il privilégia l’analyse littéraire et poétique, cela ne nous empêche pas d’approcher son concept comme s’appliquant à tous les arts — sa critique d’art est avant tout une critique esthétique de l’art. Mais pour la comprendre, il importe de revenir sur sa théorie esthétique ainsi que sa théorie critique. Nous reviendrons donc sur ses premiers textes dans la revue Tropiques et ceux post-Tropiques afin de saisir l’évolution d’une pensée et répondre à notre question : Pourquoi une critique d’art antillaise-caribéenne ?

Concept de « critique d’art »

Il n’y a pas de claires définitions d’une « critique d’art » chez le philosophe René Ménil. On trouve plutôt toute une série de textes critiques disséminés dans le temps. Deux d’entre eux — « Naissance de notre art » et « Situation de la poésie aux Antilles [2] » — esquissent une première théorie de l’art en contexte antillais. Pour la comprendre, il est nécessaire d’analyser en amont sa théorie esthétique et critique.

Dans ces premiers textes, la théorie esthétique de René Ménil s’inspire à la fois du surréalisme et de la pensée hégéliano-marxiste. Pour lui, l’histoire de l’art est une histoire des formes et du devenir d’une conscience. L’art en tant que fait culturel serait le médium à travers lequel une subjectivité s’approfondirait dans sa connaissance et à travers son évolution. Ce n’est pas une idéalité (la seule production de l’Esprit), mais plutôt un faire culturel déterminé dans le temps et l’espace. Il s’éloigne en cela d’une conception universaliste et essentialiste de la culture pour, au contraire, la penser comme une construction continue et spécifique à chaque lieu. Depuis la situation antillaise, l’art se trouve pris dans les rets de l’assimilationnisme français qui a fait de la culture non plus le processus actif, organique, d’approfondissement de soi et de connaissance qu’il est, mais un pur formalisme sans fond, un mimétisme du Même (la France) qui se pose comme universel. La « crise de conscience [3] » dont parle alors René Ménil et qui affecterait le sujet antillais (dans la seconde moitié du XXe siècle) est une sorte de séparation entre fond et forme arrêtant leur devenir mutuel, c’est la division d’une pensée consciente de son manque et qui devient vis-à-vis d’elle-même une extériorité. Le devenir de la création est pris dans un miroir mimétique où elle n’est plus que la copie consciente (l’image imaginaire et négative) du Même. En situation coloniale, il ne saurait y avoir d’art, seulement des imitations malheureuses.

Ce qui l’amène alors à condamner toute la production antillaise moderne antérieure qui selon lui n’aurait été que copies : « Toutes nos manifestations culturelles, dans le domaine de l’art, n’ont été jusqu’à ce jour que pastiches. [4] » Ces productions sont dites par ailleurs nulles « parce qu’elles ne sont pas valables historiquement : elles ne s’intègrent pas dans l’évolution réelle de l’art mais se posent comme à côté. [5] » Dans une telle analyse de la situation culturelle dans les années 1940, René Ménil verra en la critique le processus négatif par lequel une conscience revient à elle-même en s’analysant elle ainsi que ses productions. En analysant sa crise qui est d’être séparée de son devenir propre (d’être et de rester une extériorité pour elle-même), elle analyserait du même coup les conditions matérielles de sa domination : la matrice de la race et de la colonisation. Ainsi, pour René Ménil : pas d’art véritable sans critique préalable. Avec la Revue du monde noir (1931-1933), Légitime Défense (1932) et Tropiques (1941-1944), vient « l’âge de la critique [6] » qui est le moment où la question d’un « art antillais » commence à se poser à partir du fait colonial. Ce temps critique est celui de la Négritude mais aussi celui du « romantisme antillais [7] » qui, théorisé par René Ménil, est ce moment d’approfondissement de la subjectivité antillaise à travers la poésie et la méthode surréaliste (il n’est pas exagéré de dire que les mouvements de l’Antillanité puis de la Créolité sont, bien que différents, une continuité de ce romantisme ménilien).

La critique d’art est pour le moment une poétique n’ayant pas encore d’objet propre à part les textes d’Aimé Césaire et de Suzanne Césaire. Elle prépare l’art à venir : « Notre tâche est de préparer l’avènement du poète, de celui qui fera ce que nous concevons. [8]» Elle est un moment qui est voué à s’évanouir : « Nous travaillons au passage de la critique d’art à l’art. [9] » Pour le moment, René Ménil ne reconnaît pas l’existence d’un art antillais bien qu’il l’appelle, il n’en serait qu’à ses balbutiements. Non seulement il ne reconnaît aucune valeur aux productions culturelles modernes antérieures qu’il juge avec Suzanne Césaire de doudouistes, mais il disqualifie dans le même mouvement l’idée d’une culture populaire antillaise. N’y aurait-il eu aucun art produit dans la Plantation ou hors d’elle ? Cette disqualification est due à sa conception de l’art et de la culture qui hérite encore d’une tradition esthétique européenne. Selon lui, les arts populaires sont sans discours et surtout sans voix à l’image de ce qu’il appelle les « arts muets de la danse naïve et de la pantomime de rue [10] ». Ils seraient sans esthétique (sans discours scientifique sur l’art) et donc ne feraient pas partie du régime des arts (seul le jazz échappe à cette disqualification).

La critique d’art est donc pour l’instant le concept d’une esthétique au sens d’un discours général sur l’art et une politique qui, pour le moment, s’en tient au problème de l’existence d’un art antillais et d’une culture propre. Elle deviendra dans des textes plus tardifs une pratique herméneutique où il ne sera plus question de se demander s’il y a un art ou pas, ni de faire surgir une différence antillaise à partir d’un supposé néant, mais d’esquisser une théorie de l’esthétique antillaise et des styles s’appuyant sur le déjà existant, à savoir : les œuvres elles-mêmes, l’histoire des productions culturelles antillaises et plus largement caribéennes.

Esthétique, méthode critique et styles artistiques aux Antilles

La généalogie ménilienne de l’art est une généalogie des styles. C’est dans un texte extrêmement critique contre le roman Au Fond du Bourg de l’écrivain martiniquais Sainville qu’il explicitera sa conception du style [11]. Il citera Pablo Picasso et décrira ses peintures de guerre pour démontrer que les problèmes de l’art — quand même liés aux conditions sociales, économiques et politiques — sont avant tout d’ordre esthétique et non politique : « La morale et la politique vont nous parler sans que leur voix fasse taire celle de la peinture même. Voici le secret : La peinture peut peindre n’importe quoi, affirme Picasso, à condition que ce soit vraiment de la peinture. [12] » Son intention sera de penser et de déchiffrer ce qu’il nomme une « esthétique antillaise [13]» depuis les œuvres produites et leur style. Il s’éloignera en cela de ses premières conceptions où l’esthétique était d’abord et avant tout une théorie générale de l’art pour maintenant la concevoir comme une théorisation et conceptualisation a posteriori, depuis une méthode critique empirique :

« Le projet ne devait plus être la fabrication artificieuse d’un système d’abstractions mais simplement l’étude analytique de faits littéraires et artistiques réels — les œuvres écrites ou peintes ou dansées aux Antilles, ici et maintenant. La démarche cesse d’être la recherche et l’agencement de concepts a priori pour devenir l’étude expérimentale des œuvres produites aux Antilles en vue d’établir des concepts esthétiques a posteriori — concepts extraits de ces œuvres. [14] »

La critique d’art devient alors une méthode de « déchiffrement [15] » de ce qu’il nomme « l’esthétique muette [16]». Pourquoi « muette » ? Pour René Ménil, l’esthétique est ce qu’il nomme à la hâte et très brièvement dans un de ses textes un : « régime de la sensibilité [17] ». Nous pourrions dire que c’est une manière de sentir, de faire, culturellement et historiquement déterminée. Si René Ménil faisait dans ses premiers textes de l’esthétique l’affaire du régime des arts (et de certains arts), il semble avoir évolué en l’élargissant au régime du sensible dans son ensemble. L’esthétique se dit du sensible et de la sensibilité ainsi que de leur expression dans toute forme culturelle (ce qui l’amène alors à revoir sa conception de la culture et à se référer à une culture antillaise élargie). L’esthétique est aussi le discours sur ce sensible, une réflexion nécessaire car, sans lui, ce même sensible resterait sans concept et donc « muet » : « Le travail de l’esthéticien dans ces conditions n’est pas de tirer une esthétique de sa tête puisque les esthétiques sont déjà là. Des esthétiques qui attendent d’être réfléchies et pensées au niveau des concepts. [18] » Il y a là, comme dans ses premiers textes, une prédominance donnée au langage et à la critique qui, cette fois-ci, n’est pas une annonciatrice de l’art à venir mais la voix qui participe à la construction de cet art — à sa conscientisation — pendant qu’il se fait.

Ainsi, René Ménil développera dans les articles « Le roman antillais » et « Dialogues sur une esthétique à faire ou bien » une première généalogie d’une esthétique antillaise dans laquelle il esquisse plusieurs catégories : le style surréaliste du romantisme antillais commençant dans les années 1930 (avec des revues comme Légitime Défense publiée en 1932), le style réaliste amorcé par le travail critique de revues comme Tropiques, visible dans certaines œuvres littéraires dont celle de l’écrivain Joseph Zobel, et enfin le style baroque présent dans la littérature caribéenne et d’Amérique latine de la seconde moitié du XXe siècle dans les œuvres d’écrivains comme Édouard Glissant, Alejo Carpentier ou encore Jorge Luis Borges. Cette cartographie des esthétiques n’est pas à proprement parler une histoire (quand commence le baroque ? Quand finit-il ? Quand finit le style réaliste ?), c’est plutôt un effort de catégorisation de différents styles et courants. La critique d’art de René Ménil n’est pas une histoire des mouvements ni même des formes, mais un travail esthétique de théorisation et de catégorisation qui, bien que s’appuyant sur une histoire déjà existante, s’en éloigne et l’informe en retour par son propre travail théorique et critique.

Cette généalogie ébauchée, si elle s’appuie sur la littérature, peut aussi s’appliquer à l’art moderne antillais de la seconde moitié du XXe siècle. Nous pouvons lire l’Atelier 45 (mouvement artistique martiniquais fondé en 1945) selon la catégorisation ménilienne, à savoir : comme un mouvement « réaliste » dans la mesure où son sujet est le matériau antillais (vie quotidienne, pratiques culturelles du pays), réalisme que nous retrouvons dans la toile Bonjou patwon (Soumission) de l’artiste Alexandre Bertrand peinte en 1959 ; ou bien encore dans les années 1980 en Guadeloupe dans le travail de l’artiste Michèle-Chomereau Lamotte qui réalisa plusieurs peintures murales dans la ville de Pointe-à-Pitre et ses alentours à destination de la population (pensons à la peinture murale Lérose, Léwoz réalisée en 1985 au Raizet sous la demande des riverains) ; nous pouvons aussi penser à la tendance baroquisante (telle que définie par René Ménil : tendance à l’accumulation, à la répétition de motifs) dans les Expressions-bidonvilles de l’artiste martiniquais Serge Hélénon, oeuvres commencées en 1971 et très proches des cases caribéennes ainsi que des objets culturels du syncrétisme religieux, tendance que nous retrouvons aussi dans les années 1980 chez les artistes du groupe Fwomajé (créé en 1984) et du G.E.P Totem (fondé en 1983 par l’artiste René Louise), et dans la pratique de nombreux autres artistes antillais en cette fin de siècle qui cherchent à suivre les traces d’artistes caribéens comme Roberto Matta et Wilfredo Lam. Bref, ces catégories esthétiques (romantisme, réalisme, baroque) sont repensées dans un enchevêtrement entre le modernisme européen et les modernités afro-caribéennes depuis ce troisième espace que sont les Amériques.

Finalement, nous pouvons dire que le problème de la critique d’art en contexte antillais est, pour René Ménil, celui d’un art caribéen, de son esthétique et de son histoire. La méthode critique du philosophe cherche alors à répondre à ces problèmes non pas a priori mais bien a posteriori (à partir des œuvres elles-mêmes) comme si elle s’efforçait de vérifier l’idée d’une différence antillaise-caribéenne en chaque œuvre, et de travailler à la clinique de la conscience antillaise et de son développement à travers une histoire des styles (qui n’est, chez René Ménil, qu’à l’état d’esquisse en plus d’être légèrement datée même si elle reste utile). La politique de cette critique est à la fin de participer au développement de cette conscience en vue, toujours, d’un processus plus large de décolonisation des Antilles.

Le sens d’une critique d’art (antillaise)

Pour conclure, peut-être pouvons-nous déjà affirmer qu’une « critique d’art antillaise-caribéenne » n’a pas pour objet une quelconque différence ontologique antillaise ou caribéenne (ce n’est ni de la métaphysique ni de l’ontologie). Elle est avant tout une critique qui se problématise depuis son lieu propre, à savoir : la Caraïbe. Ainsi, il n’y a pas seulement toute une histoire de la critique d’art antillaise dans le sens d’une histoire des textes écrits par des journalistes depuis le XVIIIe, XIXe siècle ou, plus tard, par des critiques d’art reconnus et s’identifiant comme tels (pensons à la première génération de critiques d’art relativement institués dans les années 1990 tels que Dominique Berthet, Dominique Brebion, Nathalie Hainaut, Jocelyn Valton, Christian Bracy et Scarlett Jesus), mais il y a surtout une histoire de sa problématisation et théorisation — histoire que je fais remonter à la revue Tropiques (son histoire critique en quelque sorte) et qui émerge avec la question de la race et de la colonisation.

Maintenant, quel sens, ou orientations, ou fonctions donnons-nous à cette critique ? Pour René Ménil (celui des derniers textes), la fonction de la critique d’art semble être — en plus de commenter et de recenser — de déchiffrer une esthétique qui elle-même s’inscrit dans une histoire spécifique (celle d’un art caribéen). La méthode de déchiffrage de René Ménil consiste en une analyse empirique de l’œuvre. C’est une sorte de critique immanente qui cherche à saisir la singularité de l’objet et non à plaquer une conception toute faite. En ce sens, la critique est elle aussi créatrice lorsqu’elle cherche à exprimer et à faire reconnaître l’événementialité d’une œuvre, ce qui l’empêche d’être un système ou un simple discours scientifique surplombant et qui supprimerait le singulier pour privilégier le général. Nous rajouterons à la suite de René Ménil que la critique répond aussi à une fonction sociale et pédagogique très concrète de médiation culturelle.

Pourquoi donc la critique d’art aux Antilles, dans la Caraïbe ? Pourquoi la critique d’art ? Pour toutes ces raisons, au moins : pour participer à une histoire de l’art (caribéenne dans notre cas) en archivant le contemporain et en déchiffrant des esthétiques (et donc participer à mieux nous connaître, dirait peut-être René Ménil) ; pour relier les formes produites et les corps ; pour contribuer, parfois, à la création de catégories et d’imaginaires en produisant un savoir sur l’art, ou du moins une interprétation ; mais aussi pour affirmer la singularité d’une œuvre, d’une émotion, d’une sensation, en se risquant à créer, à son tour. La critique — que nous nous amuserons à renommer ici pawòl kritik ou veillance — crée, elle aussi, et c’est en cela qu’elle rejoint l’évènement.

Chris Cyrille

[1] Nous savons que les idées et pensées développées dans la revue Tropiques par Suzanne et Aimé Césaire ainsi que René Ménil, inspireront un des premiers mouvements antillais d’après guerre (Guadeloupe, Martinique) qui est l’Atelier 45 fondé en 1945. C’est ce que le commissaire d’exposition Jean Marie-Louise explique dans un texte consacré à ce mouvement : « Les idées philosophiques sécrétées par la revue, les théories qui l’émaillent, la réflexion culturelle et politique qu’elle porte, l’urgente invitation à se connaître et l’incitation pressante à réfléchir sur la condition de l’homme antillais qu’elle recèle, la place prépondérante qu’elle accorde à l’art et les perspectives qu’elle lui ouvre, l’élan puissant qu’elle transmet, ses dimensions contestataires, laissent une empreinte fascinée dans l’esprit de ces jeunes et leur font faire un grand saut vers la conscience que l’art martiniquais est à créer et que le faire exister c’est se doter d’une arme fondamentale pour un affranchissement véritable. « À ce moment-là, confiera Honorien, nous avons pris conscience de notre existence, avec une telle acuité que nous étions portés à extérioriser nos valeurs et nos rêves ». » in Jean Marie-Louise, Rendre hommage à l’Atelier 45, catalogue d’exposition, Fort-de-France, 2016, p. 32.
[2] René Ménil, Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Éditions Robert Laffont, 1981.
[3] René Ménil, Ibid., p. 117.
[4] Ibid., p. 107.
[5] Ibid., p. 107-108.
[6] Ibid., p. 108.
[7] Ibid. p. 124.
[8] Ibid. p. 109.
[9] Ibid
[10] Ibid., p. 108
[11] René Ménil, « Le roman antillais » in : Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Éditions Robert Laffont, 1981.
[12] Ibid., p. 187.
[13] Ibid. p. 219.
[14] Ibid., p. 220.
[15] Ibid., p. 225.
[16] Ibid., p. 220.
[17] Ibid., p. 196.
[18] Ibid., p. 221.

A West Indian-Caribbean art criticism, what for?

Reflections on the aesthetic and critical theory of René Ménil

To question art criticism from a philosophical perspective means examining two core concepts: “art” and “criticism.” This leads us to venture into the ‘domain’ of aesthetics and the ‘field’ of criticism, bringing to mind an array of obvious references—such as Kant’s critiques, Diderot’s philosophy of art, and Mallarmé’s reflections. But what happens when we approach the question of art criticism from a Caribbean perspective, specifically from the Antilles (Guadeloupe, Martinique)? Must we refer to the same European history? This text aims to explore the development of a distinctively Caribbean philosophy of art criticism through the work of the Martinican philosopher René Ménil and his book *Traces: Identity, Negritude, Aesthetics in the Antilles*, published by Robert Laffont in 1981. Why Ménil, indeed? Because alongside Suzanne Césaire, he was among the first to articulate a theory of West Indian art that would go on to shape the trajectory of Caribbean painting in the latter half of the 20th century [1]. Art criticism, as a practice of engaging with and discussing artworks, inevitably draws upon an underlying aesthetic framework—a conceptualization of both art and criticism itself. Ménil’s work is therefore crucial; he was likely one of the first to theorize these concepts in a way that resonates with the specific socio-cultural context of the Antilles, addressing questions that remain central to Caribbean art criticism today.

What drives the practice of Caribbean art criticism? Is its ultimate aim to uncover a uniquely West Indian or Caribbean form of art through commentary, analysis, and chronicle? In other words, what significance do we assign to the practice of art criticism in the Antilles?

René Ménil proposes a framework for art criticism rooted in the Caribbean context. Although he focused primarily on literary and poetic analysis, his concept can be extended to encompass all artistic forms—his approach is fundamentally an aesthetic critique of art itself. To fully understand this, we must examine both his aesthetic and critical theories. This means revisiting his early writings in Tropiques, as well as those he produced after the publication ceased, in order to trace the evolution of his thought and to address our central question: Why the need for a specifically West Indian-Caribbean art criticism?

The concept of “Art Criticism”

Philosopher René Ménil does not explicitly define “art criticism” but instead leaves a legacy of critical texts dispersed across time. Two key pieces—“Naissance de notre art” [Birth of Our Art] and “Situation de la poésie aux Antilles” [2] [The Situation of Poetry in the West Indies]—sketch out an initial theory of art contextualized in the West Indies. To grasp this theory, we must first analyze his aesthetic and critical frameworks.

Ménil’s aesthetic theory in these early texts is influenced by both surrealism and Hegelian-Marxist thought. For him, art history is a history of forms and the evolution of consciousness. Art, seen as a cultural phenomenon, becomes a medium through which subjectivity deepens its knowledge and develops. Ménil distances himself from universalist and essentialist views of culture, suggesting instead that culture is a continuous, place-specific construction. In the French West Indian context, however, art finds itself entangled in French assimilationism, transforming culture from an active, organic process of self-discovery and knowledge into a mere formalism—a mimicry of France, which asserts itself as the universal model. The “crisis of conscience” [3] Ménil refers to, affecting the French West Indian subject in the latter half of the 20th century, reflects a division between content and form that halts their mutual development. It reveals a consciousness of deficiency, existing as an externality to itself. Caught in a mimetic mirror, creation becomes merely a conscious imitation—an imagined, negative reflection—of the universalized French “Same.” Thus, in a colonial context, true art could not flourish, reduced instead to unfortunate mimicry.

This leads Ménil to denounce all prior modern West Indian art as mere imitation: “All our cultural expressions, in the field of art, have until now been nothing but pastiches.” [4] He argues that these works are also “null because they are not historically valid; they are not integrated into the actual evolution of art but stand, as it were, side by side.” [5] In this critique of the cultural scene of the 1940s, Ménil sees criticism as the essential, negative process through which a consciousness examines itself and its creations. By confronting its crisis—that of being disconnected from its own evolution and existing only as an externality—it also probes the material conditions of its subjugation: race and colonization as structuring forces. For Ménil, there can be no authentic art without a foundational critique. With publications like Revue du monde noir (1931-1933), Self Defense (1932), and Tropics (1941-1944), “the age of criticism” [6] emerges, when the concept of a distinctly “Antillean art” begins to assert itself against the colonial condition. This critical era marks the rise of Négritude and what Ménil calls “West Indian Romanticism”—a phase where West Indian subjectivity deepens through poetry and surrealist methods. One might even argue that later movements like Antillanité and Créolité, while distinct, are continuations of this Ménilian romanticism [7].

At this stage, art criticism in the French Caribbean serves as a kind of poetics, a discourse without an autonomous object outside of the texts of Aimé and Suzanne Césaire. It is preparatory, setting the stage for art’s future emergence: “Our task is to prepare for the coming of the poet, the one who will make what we conceive.” [8] This phase, however, is transient: “We are working on the transition from art criticism to art.” [9] René Ménil, while calling for an Antillean art, sees it as nascent, not yet fully realized. He finds no merit in earlier modern cultural productions, dismissing them alongside Suzanne Césaire as exoticizing. Moreover, he questions the notion of a popular French West Indian culture, suggesting a lack of genuine art on or beyond the plantation—a view shaped by a Eurocentric conception of art and culture. For Ménil, popular arts lack voice and intentionality, embodying what he describes as the “silent arts of naive dance and street pantomime,” [10] lacking aesthetic discourse (i.e., scientific reflection on art), and therefore not qualifying as art (with the exception of jazz, which escapes this limitation).

Thus, art criticism currently serves as both an aesthetic concept—a general theory of art—and a political stance, grappling with the question of a distinct French Caribbean art and culture. In later writings, Ménil envisions it evolving into a hermeneutic practice, moving beyond debates on art’s mere existence or the emergence of an Antillean identity from a supposed void. Instead, it will seek to theorize West Indian aesthetics and styles through an analysis of the artworks themselves, and a history of Caribbean cultural production going beyond the French Antilles.

Aesthetics, critical methodology and artistic styles in the West Indies

The Menilian genealogy of art is fundamentally a genealogy of styles. In a sharply critical review of Au Fond du Bourg, a novel by Martinican writer Sainville, Ménil clarifies his understanding of style [11]. He quotes Pablo Picasso to illustrate that the essence of art is primarily aesthetic rather than political, even though it is shaped by social, economic, and political contexts. Referencing Picasso’s war paintings, Ménil asserts, “Morality and politics will speak, without their voice silencing that of the painting itself. Here’s the secret: ‘Painting can paint anything,’ says Picasso, ‘provided that it is really painting.' »[12] Ménil thus aims to discern and articulate a “West Indian aesthetic”[13] derived from the stylistic qualities of existing works. In this, he diverges from his earlier views, where aesthetics was considered a universal theory of art. Now, he envisions aesthetics as a retrospective theorization based on an empirical critical method:

The project should no longer be the artificial fabrication of a system of abstractions but simply the analytical study of real literary and artistic facts – works written or painted or danced in the West Indies, here and now. The approach ceases to be the research and arrangement of concepts a priori to become the experimental study of works produced in the Antilles with a view to establishing aesthetic concepts in retrospect — concepts extracted from these works.[14]

Art criticism, then, becomes a method of “deciphering”[15] what René Ménil calls “the silent aesthetic.”[16] But why “silent”? For Ménil, aesthetics is what he fleetingly refers to in one of his texts as a “regime of sensitivity”[17]—a way of perceiving and creating that is culturally and historically conditioned. While Ménil initially approached aesthetics as the regime governing the arts in his early writings, he later expanded this notion to encompass the entire realm of the sensible. Aesthetics, thus, comes to refer to both the sensory experience itself and its expression in any cultural form, prompting a reevaluation of culture and a shift towards a more inclusive view of Caribbean culture. Aesthetics is also the discourse surrounding this sensory experience—a necessary reflection that, without articulation, leaves it without concept and, thus, “mute.” Ménil writes, “The work of the aesthetician in these conditions is not to draw an aesthetic from their mind, since the aesthetics are already present, waiting to be thought about and conceptualized.”[18] As in his early texts, Ménil emphasizes the role of language and criticism, but this time, they are not simply precursors to future art; they are essential voices that participate in the construction and awareness of art as it comes into being.

In his articles “Le Roman Antillais” [The West Indian Novel] and “Dialogues sur une esthétique à faire ou bien” [Dialogues on an Aesthetic to Be Made or Otherwise], René Ménil develops an early genealogy of a West Indian aesthetic, outlining several stylistic categories. These include the surrealist style emerging in West Indian romanticism during the 1930s (seen in publications like Légitime Défense [Self Defense] in 1932), the realist style shaped by the critical work of journals like Tropiques and exemplified in the writings of Joseph Zobel, and finally, the baroque style present in Caribbean and Latin American literature in the latter half of the 20th century in the works of authors like Édouard Glissant, Alejo Carpentier, and Jorge Luis Borges. Rather than offering a strict historical account (when, for instance, does the baroque begin or end?), Ménil’s framework serves to categorize these evolving styles and trends. His art criticism is, thus, less a history of movements or forms than an aesthetic theory that categorizes and interprets, informed by historical influences, that theory transforms in return through its own conceptual and critical contributions.

Though rooted in literature, this stuttering genealogy extends naturally to West Indian modern art from the latter half of the 20th century. We can view Atelier 45 (an artistic movement in Martinique founded in 1945) through the lens of Ménil’s categories, notably as a « realist » movement, as it reflects West Indian themes—daily life, cultural practices. This realism appears in works like Bonjou patwon [Submission] by Alexandre Bertrand, painted in 1959, and in the murals of Michèle Chomereau-Lamotte from the 1980s, such as Lérose, Léwoz (1985), commissioned by local residents in Pointe-à-Pitre, Guadeloupe. Likewise, a baroque tendency, as Ménil defines it—a propensity for accumulation and repetition—can be seen in Bidonvilles by Martinican artist Serge Hélénon, initiated in 1971, which echoes Caribbean huts and syncretic cultural objects. This trend recurs among artists of collectives like Fwomajé (1984) and G.E.P Totem (1983, founded by René Louise), as well as in the late-century work of many West Indian artists inspired by Caribbean figures like Roberto Matta and Wilfredo Lam. In summary, these aesthetic categories (romanticism, realism, baroque) are reimagined through an interplay between European modernism and Afro-Caribbean modernities, emerging from the third space of the Americas.

The issue of art criticism within the West Indian context, for René Ménil, revolves around the question of Caribbean art—its aesthetics and its history. The philosopher’s critical approach aims to address these concerns not by setting preconceived standards but rather by analyzing the works themselves, almost as if testing the idea of a West Indian-Caribbean distinctiveness within each piece. This method serves as a way to explore the evolving West Indian consciousness through a history of styles. Although Ménil’s outline of these styles remains somewhat preliminary and often dated, it continues to offer valuable insights. Ultimately, the goal of this critical framework is to actively contribute to the growth of this cultural consciousness, aligning with a larger vision of decolonization for the Antilles.

The meaning of (West Indian) art criticism

In conclusion, we might affirm that a « West Indian-Caribbean art critique » does not concern itself with any inherent West Indian or Caribbean ontological difference—it is neither metaphysical nor ontological. Rather, it is a critique that defines itself from within its own context: the Caribbean. Thus, there exists not only a history of West Indian art criticism as a body of texts written by journalists since the 18th and 19th centuries, or by later recognized and self-identifying art critics (such as the first generation of well-established critics in the 1990s, including Dominique Berthet, Dominique Brebion, Nathalie Hainaut, Jocelyn Valton, Christian Bracy, and Scarlett Jesus), but also a history of its own problematization and theorization—a history I trace back critically to the Tropiques journal. This history is inextricably linked to questions of race and colonization.

But what meaning, directions, or functions do we ascribe to this critique? For René Ménil, particularly in his later writings, the purpose of art criticism seems to extend beyond merely cataloging or commenting; it serves to decipher an aesthetic embedded within a specific historical trajectory—that of Caribbean art. Ménil’s method of deciphering relies on an empirical analysis of the work itself, a form of immanent criticism that seeks to capture the object’s unique qualities rather than imposing preconceived notions. In this sense, criticism becomes a creative act, aiming to recognize and articulate the unique manifestation of a work, thus avoiding the reduction of critique to a rigid system or purely theoretical discourse. Finally, following Ménil’s thinking, criticism also holds a distinctly social and educational role, functioning as a form of cultural mediation that bridges art with its broader social context.

Why, then, art criticism in the West Indies, in the Caribbean? Why art criticism? At least for these reasons: to contribute to art history (Caribbean, in this case) by archiving the contemporary and deciphering aesthetics — thus participating, as René Ménil might say, in a deeper understanding of ourselves; to connect forms and bodies; to sometimes shape categories and imaginaries, producing knowledge about art or, at the very least, an interpretation; and to affirm the uniqueness of a work, an emotion, a sensation, by daring to create in response. Criticism — which we might playfully rename pawòl kritik or veillance— is itself an act of creation, joining in the artistic manifestation.

Chris Cyrille

[1]

 The ideas and philosophies developed in the journal Tropiques by Suzanne and Aimé Césaire, along with René Ménil, inspired one of the first post-war Caribbean movements in Guadeloupe and Martinique: L’Atelier 45, founded in 1945. Exhibition curator Jean Marie-Louise elaborates on this in a text dedicated to the movement: “The philosophical ideas fostered by the magazine, the theories woven throughout, its deep cultural and political reflections, the urgent call for self-knowledge, and the powerful incitement to consider the condition of the Caribbean person—all of these elements, along with the magazine’s emphasis on art and the new perspectives it opened, its spirited protest stance, left an indelible mark on the minds of these young people. This surge in awareness brought them to realize that Martinican art had yet to be created and that in making it exist, they would forge a fundamental tool for true emancipation. ‘At that moment,’ Honorien confided, ‘we became aware of our existence with such sharpness that we felt compelled to express our values and our dreams.’” (Jean Marie-Louise, Tribute to Atelier 45, exhibition catalog, Fort-de-France, 2016, p. 32).

[2] René Ménil, Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Éditions Robert Laffont, 1981.

[3] René Ménil, Ibid., p. 117.

[4] Ibid., p. 107.

[5] Ibid., p. 107-108.

[6] Ibid., p. 108.

[7] Ibid. p. 124.

[8] Ibid. p. 109.

[9] Ibid

[10] Ibid., p. 108

[11] René Ménil, « Le roman antillais » in : Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Éditions Robert Laffont, 1981.

[12] Ibid., p. 187.

[13] Ibid. p. 219.

[14] Ibid., p. 220.

[15] Ibid., p. 225.

[16] Ibid., p. 220.

[17] Ibid., p. 196.
[18] Ibid., p. 221.