L’île de Grenade à la biennale de Venise
Susan Mains
Depuis plus de 50 ans, le Grenada Arts Council, un organisme bénévole à but non lucratif, défend les artistes et propose des possibilités d’expositions locales. Il s’agit principalement d’une activité communautaire, avec un fort soutien du secteur des entreprises. Des expositions de groupe ont été présentées à la Barbade, au Musée de l’OEA à Washington DC, à la Biennale de peinture de l’Amérique latine et des Caraïbes à Saint-Domingue, à Miami, en Floride, aux États-Unis et à Trinidad. Ces dernières ont toujours connu un certain succès. Lorsque la Grenade a participé aux expositions commerciales mondiales à Shanghai, en Chine, et à Dubaï, aux Émirats arabes unis, les arts visuels étaient présentés.
La Grenade n’a pas d’institutions pour soutenir les artistes. Le ministère de la Culture a traditionnellement soutenu le développement du carnaval, de la danse et d’autres arts de la scène. Il n’y a pas de National Gallery, ni de Musée des arts visuels, malgré des décennies d’activisme de la part des artistes. Tout ce qui a été réalisé l’a été grâce au travail bénévole des artistes.
Dans ce contexte, la participation à la Biennale de Venise a pu apparaître comme une aspiration trop ambitieuse pour les artistes de Grenade. Beaucoup ont dit que cela ne pouvait pas être fait. La Biennale de Venise est l’exposition d’art la plus ancienne et la plus prestigieuse au monde. Tous les deux ans, les nations y envoient leurs meilleures représentations de l’art. Elle a été comparée aux Jeux olympiques, la réalité est plus nuancée. C’est le rêve ultime de chaque artiste. L’œuvre est vue par des centaines de milliers de visiteurs très informés.
Les artistes de la Grenade qui voulaient participer à la Biennale de Venise étaient déterminés et volontaires. Il a fallu commencer par développer l’art contemporain à Grenade en s’appuyant sur les ressources de la communauté artistique internationale. Et aussi construire un réseau d’opportunités pour que les artistes puissent développer leurs compétences et avoir des possibilités d’exposition dans le monde entier.
En 2013, un groupe d’artistes de la Grenade a visité la Biennale de Venise par ses propres moyens, essayant de trouver une manière d’escalader ce qui semblait être un mur impénétrable pour accéder à une participation. Cette même année, le Grenada Contemporary, une exposition annuelle sur invitation, a été organisée. C’était l’occasion pour les artistes de passer par un processus de candidature, de répondre à une thématique et d’apprendre les étapes pour professionnaliser leur approche.
En 2014, le Grenada Arts Council a invité un commissaire cubain à venir voir le travail des artistes de la Grenade. À cette époque, l’objectif était qu’un de nos artistes soit choisi pour participer à la Biennale de La Havane. José Manuel Noceda est venu à la Grenade pendant une semaine, a visité des ateliers, a parlé avec des artistes. Il a été très encourageant. Mais la Grenade n’a pas été choisie pour cette édition de la biennale cubaine. Néanmoins cela a été un bon exercice pour préparer la suite.
En 2015, la Grenade a organisé son premier pavillon, avec la coopération de la Ministre de la Culture de l’époque, Brenda Hood, qui a sollicité une invitation officielle du gouvernement italien. Un sponsor italien et partenaire de la société Officina del Zattere, avec Luisa Flora, est intervenu pour faciliter le travail préparatoire local à Venise. La courbe d’apprentissage était abrupte, mais avec les conseils de ces curateurs et gestionnaires expérimentés, Grenade a été en mesure de produire un pavillon d’exposition d’artistes originaires de Grenade et internationaux. Les dépenses du pavillon ont été partagées, permettant la réalisation de ce qui aurait été hors de portée de la Grenade seule. Au cours des sept mois de la manifestation, il y a eu beaucoup de monde et la Grenade a fait sa première incursion sur la scène internationale au plus haut niveau. Les artistes de la Grenade ont été invités à participer à une Biennale à Rio de Janeiro, à une résidence d’artiste en Bolivie pour un artiste, puis à des foires d’art en Suisse et en Colombie.
Plusieurs petits pays ont exposé à Venise une fois, souvent pour la première et la dernière fois. Mais ce n’est pas le cas de Grenade. Avec l’aide continue du réseau, la Grenade a participé à la biennale de Venise en 2017, 2019 et 2022. À cela s’est ajoutée la Biennale d’architecture (organisée en alternance) en 2021.
Chaque année, des appels ouverts ont été lancés pour inviter les artistes à postuler pour être invités. Plusieurs artistes qui vivent dans la diaspora aux États-Unis et à Londres ont également été présentés. Cela a abouti à de nouvelles opportunités importantes pour eux. Dans les années 2022 et 2023, Shervone Neckles (2019) exposera son œuvre au MOCA Museum de Jacksonville, en Floride, à l’Université de Floride du Nord. Le film Second Eulogy de Billy Gerard F (2019, 2022) a été présenté au Brooklyn Museum of Art, et cet artiste bénéficiera d’une exposition personnelle au Buck Museum dans l’Ohio de Youngstown aux États-Unis en 2023. Le prestige d’avoir participé à la Biennale de Venise dans une ligne de son CV valorise leur travail.
Shervone Neckles, Bless this House. Photo courtesy. Grenada Pavilion 2019
Billy Gerard Frank wit young Acktor Jakeem Gelineau. Photo : Courtesy Grenada. Pavilion 2022
Le fait d’inviter des artistes internationaux à rejoindre la Grenade dans le pavillon n’a été que bénéfique.
Le commissaire du pavillon 2022, le conservateur italien Daniele Radini Tedeschi, a déclaré :
« Pour moi, l’aspect le plus intéressant de la Biennale de Venise est la confrontation avec des cultures du monde entier, sans barrières, sans frontières, sans limites à l’imagination et la fantaisie. Par conséquent, dans chaque exposition que j’ai organisée à la biennale, j’ai toujours voulu créer des pavillons nationaux basés sur la fusion des langues. Dans l’art, les influences sont très importantes. Pensez à Antonello da Messina lié à la peinture nordique. Les influences créent constamment de nouvelles formes d’expression. Le risque dans le domaine des arts visuels c’est celle du maniérisme. Au contraire, le mélange de langues peut générer de nouvelles esthétiques et la progression. C’est très agréable de voir des artistes du monde entier rassemblés dans un espace d’exposition, chacun prêtant attention à la progression de l’autre, avec une curiosité authentique très fructueuse. »
Curator Daniele Radini Tedeschi, Samuel Ogilvie, Ian Friday. Photo Courtesy. Grenada Pavilion 2022
C’est le contraire de l’approche nationaliste qui était adoptée les décennies précédentes. L’art est aujourd’hui internationalement une activité inclusive, qui ne se limite pas aux frontières géographiques. La Grenade peut apprendre des autres, en partageant ce qui nous définit de manière unique, sans craindre d’être submergée par des cultures plus établies et plus partagées.
La participation a été un processus coûteux, chaque artiste produit et finance l’œuvre. Au fil des ans, le Gouvernement de la Grenade a accru son appui et le secteur privé a continué de contribuer. Le retour sur investissement a été énorme en ce qui concerne les relations publiques pour la Grenade. Des milliers de mentions ont été faites dans la presse internationale et en ligne.
Théoriquement, les artistes de la Grenade ont été guidés par les œuvres des écrivains caribéens Derek Walcott, Aimé Césaire et Edouard Glissant, qui écrivent tous qu’une civilisation caribéenne est un processus d’assimilation de toutes les composantes de l’ancien monde. Une nouvelle synthèse est créée, une synthèse unique qui est un exemple pour le monde par la tolérance et la résilience.
La Grenade continue de bâtir sa communauté d’artistes. Nous attendons avec impatience la 6e édition de Grenada Contemporary en novembre 2022, puis d’autres projets. Nous risquons, nous avançons vers un inconnu, avec la certitude que nous sommes soutenus par la force de nos ancêtres rebelles et provocateurs, et les espoirs de nos citoyens du monde pour les générations futures. Il y a des histoires que nous seuls pouvons raconter et nous le ferons.
Le site Web grenadavenice.org relate la participation de la Grenade à Venise, avec des informations actuelles et archivées sur le pavillon.
Susan Mains est une artiste autodidacte, dotée cependant d’une solide éducation. Depuis plus de trente-cinq ans, elle explore, dans sa peinture et ses installations, les complexités des Caraïbes dans les paysages, les scènes populaires et les interactions sociales. Elle a exposé dans le monde entier et a reçu en 2020 la médaille de l’Empire britannique de la reine Elizabeth pour services rendus à l’art. Elle a été commissaire pour le pavillon de la Grenade à la Biennale de Venise pendant cinq éditions consécutives et a également organisé d’autres expositions internationales de l’art de la Grenade. Elle croit au pouvoir social et économique de l’art mais aussi, que pour être pleinement récompensé, il est nécessaire d’investir.
Grenada in Venice
Susan Mains
For over 50 years the Grenada Arts Council, a volunteer non-profit body, has championed artists and provided local exhibition opportunities. This has been primarily a community based activity, with strong support from the corporate sector. Group exhibitions have been taken to Barbados, the OAS Museum in Washington DC, the Caribbean Bienal in Santo Domingo, Miami, Florida USA, and Trinidad. These were always well received. When Grenada participated in world Trade expos in Shanghai China and in Dubai UAE, visual art was a part of the pavilion.
Grenada has no institutions to support artists. The Ministry of Culture has traditionally supported the development of Carnival, dance and other performance arts. There is no National Gallery, or Museum for Visual arts, despite decades of activism from artists. Everything that has been done has been on the voluntary work of artists.
Against that background, participation in the Biennale di Venezia, may have seemed too high of an aspiration for the artists of Grenada. Many said it couldn’t be done. Biennale di Venezia is the oldest and most prestigious art exhibition in the world. Every two years nations send their best representations of art. It has been compared to the Olympics in sport, but it is far more nuanced in the details. It is every artists ultimate dream. The work is seen by hundreds of thousands of highly informed visitors.
Grenada artists pursuing a goal of participation at the Biennale di Venezia was purposeful and intentional. The agenda has been to develop contemporary art in Grenada by drawing on resources in the International Art Community. Further, to build a network of inputs for artists to develop their skills and have opportunities for exhibition world wide.
In 2013 a group of artists from Grenada paid their own way to visit the Biennale in Venice, trying to figure out a way to scale what seemed to be an impenetrable wall for entrance and participation. In this same year, the Grenada Contemporary, an annual invitational show was started. It was an opportunity for artists to go through a process of application, follow a theme, and learn the steps to professionalize their approach.
In 2014, the Grenada Arts Council invited a curator from Cuba to come and look at the work of Grenada artists. At that time, the hope was that one of our artists would be chosen to participate in the Havana Bienal. Jose Manuel Noceda came to Grenada for a week, made studio visits, spoke with artists, and was generally very encouraging. Grenada was not chosen for that iteration, but it was a good exercise in preparation for what was to come next.
In 2015 Grenada staged their first pavilion, having the cooperation of the then Minister of Culture, Brenda Hood, to seek an invitation officially from the Italian government for participation. An Italian sponsor and partner in the company Officina del Zattere, with Luisa Flora, stepped in to facilitate the local groundwork in Venice. The learning curve was steep, but with the guidance of these experienced curators and managers, Grenada was able to produce a pavilion show casing Grenadian and International Artists. The expenses of the pavilion were shared, thus enabling what would have been out of reach for Grenada on its own. During the seven months of the pavilion it was well attended, and Grenada had taken the first foray into the international scene at the highest level. Opportunities that came after this were Grenada’s artists being invited to participate in a Biennale in Rio di Janeiro, a residency in Bolivia for one artist, and subsequently art fairs in Switzerland and in Colombia.
Several small countries have exhibited at Venice once, and that is the first and last time.
No so Grenada. With continued spread of the network, Grenada has exhibited in 2017, 2019, and 2022. Added to this was the Architectural Biennale (which shows in the off years) in 2021.
In each year, open calls have gone out to invite artists to apply to be invited. Several artists who live in the diaspora of the United States and London have also been shown. This has led to greater opportunities for them. In the years 2022 and 2023 Shervone Neckles (2019) will show her body of work at the MOCA Museum in Jacksonville, Florida at the University of Northern Florida. Billy Gerard Frank (2019, 2022) film Second Eulogy has been featured at the Brooklyn Museum of Art, and he will have a solo exhibition at the Buck Museum in Youngstown’s Ohio in the USA in 2023. The prestige of having that one line on an artists CV, that they have participated in the Biennale di Venezia, gives importance to their work.
Shervone Neckles, Bless this House. Photo courtesy. Grenada Pavilion 2019
Billy Gerard Frank wit -young Acktor Jakeem Gelineau. Photo : Courtesy Grenada. Pavilion 2022
The act of inviting international artists to join Grenada in the pavilion has been only beneficial.
Curator of the 2022 pavilion, the Italian curator Daniele Radini Tedeschi says,
“For me, the most interesting aspect of the Biennale di Venezia is the confrontation with cultures from all over the world, without barriers without borders, without limits to imagination and fantasy. Therefore, in every exhibition I have curated at the biennale, I have always wanted to create national pavilions based on the fusion of languages. In art, influences are very important, think of Antonello da Messina linked to Nordic painting, because these influences constantly create new forms of expression. The risk in the field of visual arts is that of mannerism, instead through a mixture of languages it is possible to generate new aesthetics in a progressive sense. It is very nice to see artists from all over the world gathered together in an exhibition space, each one paying attention to the progress of the other, with a very fruitful genuine curiosity.”
Curator Daniel Radini Tedeschi, Samuel Ogilvie, Ian Friday. Photo Courtesy. Grenada Pavilion 2022
This is the opposite to the nationalistic approach that was taken decades ago. Art is now internationally an inclusive activity, not limited by geographical borders. Grenada can learn from others, sharing what uniquely defines us, without fear of being overwhelmed by bigger, more populated cultures.
Participation has been an expensive process, with each artist paying their own way for production of the work. Over the years, the Grenada Government has increased their support, and the private sector has continued contributions. The return on the investment has been tremendous as far as public relations for Grenada. Thousands of mentions have been made in the international press and online.
Theoretically, the Grenada artists have been guided by the works of Caribbean writers Derek Walcott, Aime Cesaire, and Eduoard Glissant, who all write of a Caribbean civilization being a process of assimilation of all of the inputs of the old world. A new synthesis is created, a unique synthesis that is an example to the world of tolerance and resilience.
Grenada continues to build its artists community. We look forward with great anticipation to the 6th edition of Grenada Contemporary in November of 2022, and then on to further ventures. We risk, we step forward in to an unknown, with confidence that we are buoyed on the strength of our defiant, rebel ancestors, and the hopes of our world citizens of future generations. There are stories only we can tell, and tell them we will.
The grenadavenice.org website chronicles Grenada’s participation at Venice, with current and archived pavilion information.
Susan Mains is a self-taught artist with a formal background in education. For more than thirty-five years she has explored in paint and installations the intricacies of the Caribbean in landscapes, people scapes and social interactions. She has exhibited world wide, and in 2020 she was awarded with the British Empire Medal from Queen Elizabeth for services to art. She has been the Commissioner for the Grenada Pavilion at Venice Biennale for five consecutive editions and has also curated other international exhibitions of Grenada’s art. She believes that art has social and economic power, but just like any natural resource, needs investment for the rewards to be fully realized.
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