Ernest Breleur : Paysages célestes
Dans le prolongement du numéro 1, la notion élargie de paysage, Faire monde(s) vous propose une conversation entre Ernest Breleur et Valérie John sur une récente série d’Ernest Breleur, Les paysages célestes. Comment Ernest Breleur aborde–t-il les questions de la profondeur et de l’étendue, de la composition, de la lumière dans cette vision singulière du paysage ?
Crédits photographiques : Jérôme Michel, Steeve Bauras, Ernest Breleur
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Mon cher Ernest,
Je découvre avec plaisir cet entretien que tu as eu avec Valérie (que profitant de cette parenthèse je salue cordialement) et je décide, tu comprendras pourquoi, de prendre ma plume pour t’écrire.
En plus de la jouissance de l’oeil que j’avais eu dès que j’ai vu pour la première fois tes « Paysages célestes », j’ai découvert des aspects conceptuels que j’ignorais et j’en retiendrais deux qui me tiennent à coeur.
Le premier est cette dimension égyptienne des objets destinés à accompagner le défunt dans son voyage dans l’au delà.
Décidément nos oeuvres continuent à évoluer en parallèle et mon travail intitulé « Sacras » répond exactement à cette préoccupation puisque les objets que je dore et accumule depuis quelques années sont destinés à m’accompagner lors de mon futur voyage sous l’égide d’Osiris. Egide est le mot qui convient puisque dans la mythologie grecque il est le bouclier que Zeus fit avec la peau de la chèvre Amalthée, qui lui servit de nourrice, afin de se protéger dans son combat contre les Titans.
Le deuxième est cette dimension d’altérité qui, tu le sais, m’est si chère.Tu proposes au collectionneur ou au regardeur de continuer, de « posséder » ton travail en y ajoutant des objets ou de nouvelles orientations.
Déjà, j’avais avec bonheur placé les sculptures de toi qui font partie de ma collection (je n’en suis pas peu fier) dans une mise en scène d’un tableau vivant de 2013, « Merci pour tout on s’en souviendra ». J’ai bien envie de réitérer notre échange en t’envoyant quelques sacras à placer, si tu le veut bien dans tes paysages célestes. Je t’envois donc pour commencer cette plume dorée. Je sais que tu en feras bon usage et que sa légèreté se trouveras bien à son aise au milieu de tes délicates constructions célestes.
Au fond Ernest, tu veux que je te dise, nous sommes déjà morts et depuis longtemps. C’est ce qui nous permet de vivre. C’est la différence que les grecs faisaient entre éternité et immortalité. Nous ne sommes pas immortels bien sûr ! mais nous pouvons tenter d’être éternel et ceci à chaque seconde de notre vie et de notre oeuvre.
Cela peut nous permettre de témoigner de ce que morts, nous avons vu et des paysage de ciel, de terre et de feu que nous avons traversé.
Ah bon, nous sommes morts… et la résurrection alors, dans tout ça ?
Comme disait je ne sais plus qui, mieux vaut ressusciter de son vivant, c’est plus sûr.
C’est ce que tu fais à chacune de tes oeuvres. Je t’embrasse mon ami.
Mon cher Thierry merci d avoir consacré du temps à la rédaction de ce post. Ma paire de ciseaux n est pas suffisamment aiguisée pour ciseler des mots élastiques et plastiques comme tu le fais en parlant des Paysages célestes. Je vais me laisser guider par le grand plaisir que j’ai éprouvé lors de ton propos élogieux.
La conversation que nous entretenons depuis fort longtemps est l expression fine de celle qu’entretiennent nos œuvres, je dirai à notre Insu. Il en est bien ainsi.
Ma rencontre avec l’art Egyptien s’est effectuée alors que j’étais taraudé par la question de l’espace dans le tableau . J’avais conscience qu’ il fallait pour exprimer ma singularité trouver ma propre perception de l’étendue et de la profondeur et c’est en m’appuyant sur la perception de ceux qui habitaient sur les bords du Nil que j’ai envisagé que l’espace poétique était ce qui me convenait le mieux. Cette escapade au Moyen Orient ne s’est pas produite sans impunité, j’allais rencontrer là toute une vision du monde de ce peuple dirigé par les grands Pharaons. J’allais comprendre que la perception du monde de ces constructeurs de Pyramides, entre autres, vivaient déjà dans deux mondes simultanément. Le monde terrestre de tous les jours et le monde céleste dès qu’ils fréquentaient l’intérieur des Pyramides si sacrées. C est là, dans ce monde céleste où vivaient les morts avec leurs objets, leurs nourritures, ils n’avaient pas à effectuer de voyage vers.
Leur immortalité se jouait là dans les tombeaux-Ciel. L’au-delà est dans le cœur des Pyramides, le tombeau n est pas une transition mais déjà l’au-delà.
Cette perception si personnelle du lieu Pyramide impactera les idées concernant ma propre finitude. Dès lors j’ai décidé de faire le voyage vers l’au-delà les mains pleines, pleines d’objets.
Après avoir franchi le Zenith de ma vie, me situant dans la courbe descendante, c’est à la veille de ma dernière expérience (la mort)que toute l’Egypte me revient. Cette approche poétique me permet d’envisager l’expérience de la mort de manière plus sereine et comme tu le dis si bien l’œuvre engagée à partir de ces réflexions ouvre la voie à l’immortalité de l’artiste.